L’interdiction de ne pas spécifier la religion dans les statistiques françaises rend difficile le recensement des musulmans de France. Nicolas Sarkozy, ancien ministre de l’Intérieur chargé des cultes estime leur nombre à 5 millions. L’appellation citoyens de cultures musulmanes prend de plus en plus forme, elle permet de mettre en évidence d’une part la diversité culturelle de ces populations qui peuvent être d’origine maghrébine, turque, asiatique, subsaharienne, européenne… et d’autre part, d’identifier ces populations, non par leurs pratiques ou croyances religieuses, mais à travers les liens culturels qu’elles ont avec leur pays d’origine et la religion musulmane. L’Economiste consacre une série d’articles aux principaux courants institutionnels qui composent l’ossature du Conseil français du culte musulman, CFCM(1). Aujourd’hui, la Fédération nationale des musulmans de France, FNMF. LA Fédération nationale des musulmans de France a été fondée en 1985 pour représenter l’islam de France, le rêve de départ s’est confronté aux aléas de la politique et des stratégies des différents groupes religieux. Son bilan sur le terrain est insignifiant par rapport aux dynamiques des autres structures musulmanes. La fédération peut-elle échapper à son destin chaotique? Les prochaines élections du CFCM prévues en juin 2005 serviront-elles à redorer le blason de la fédération?
En 1984, Daniel Youssef Leclerc, converti à l’islam, après son passage par le mouvement de Tabligh, créera l’association Intégrité. Il s’activera avec Mustapha Dogan, responsable, à l’époque, de l’Union islamique turque de France (UITF), la section française du Millî Görüs (mouvement islamique proche de Najmeddine Arbakane), pour mettre en place une structure de production et de commercialisation des produits halal. Youssef Leclerc, comme le philosophe Roger Garaudy, finira par être désigné membre permanent de la ligue islamique mondiale (LIM), une ONG saoudienne. C’est l’époque où les convertis à l’islam ont été reçus les bras ouverts par les populations et institutions du monde musulman.

· D’une présidence à l’autre


Très vite, l’idée de départ se transformera en un projet de représentativité des musulmans de France et la contestation de la légitimité historique de la Grande Mosquée de Paris. En 1985, le Bureau français de la Ligue islamique mondiale entrera, à travers ses responsables marocains, porteurs du projet de la Mosquée d’Evry (91), dans la course. L’un des responsables de la Mosquée a des liens familiaux avec le secrétaire général de la LIM de l’époque, Dr Omar Abdallah Nassif. Quelques amicales marocaines principalement dans le nord de la France ainsi que le mouvement Tabligh y adhéreront. Ce noyau va se consolider par des convertis à l’islam comme Jacques Yakob Roty, un soufi de la Tariqua nakchabandiya, Ayoub Lesseur ou encore Dr Abdallah Thomas Milcent, très actifs à l’époque dans le soutien des Moudjahiddine afghans contre les Russes. D’autres groupes joigneront le noyau de départ, c’est le cas de la jeune UOIF créée en 1983. L’Association des Etudiants islamiques de France, proche du professeur Muhammad Hamidullah, créée en 1963, participera également au congrès fondateur de 1985 qui officialisera la naissance de la fédération. Ainsi la FNMF attirera tous les contestataires de la légitimité représentative de la Mosquée de Paris.
La Grande Mosquée de Paris verra dans la nouvelle structure une volonté des pouvoirs publics de l’affaiblir. Pour contrecarrer l’influence grandissante de la FNMF, cheikh Abbas, recteur de la Mosquée de Paris, organisera en 1986 des congrès régionaux à travers la France.
Pierre Joxe ministre de l’Intérieur, lancera en mars 1990 le Conseil de réflexion sur l’islam de France (CORIF). Les principales personnalités de la FNMF seront conviées, à titre personnel, de siéger au sein du CORIF; il s’agit de Khalil Meroun (Mosquée d’Evry et figure de la Ligue islamique mondiale), Abdellah Benmansour (UOIF), Mustapha Dogan (UITF) et l’ancien président de la FNMF, Yakoub Roty. Marginalisée, la présidence de la FNMF dirigée par Youssef Leclerc refusera le soutien de cette initiative et reprochera à ses membres sollicités de faire cavalier seul.
Les tensions retomberont avec l’adhésion à la fédération, en 1990, du successeur de cheikh Abbas, recteur de la Mosquée de Paris, le Dr Tidjini Haddam également membre du CORIF.
Jacques Yakoub Roty sera élu en 1985 comme premier président de la FNMF. Il démissionna un an après et c’est Ayoub Lesseur qui lui succédera en 1986; ce dernier se retira en 1987 de la FNMF pour se consacrer à la fondation d’écoles coraniques, medersa, dans le 18e arrondissement de Paris. Daniel Youssef Leclerc assurera dès lors la présidente de la FNMF. En 1991, c’est le tour du Turc Mustapha Dogan. L’actuel président, Mohammed Bechari, d’origine marocaine, ancien militant de l’UNEF-ID, syndicat estudiantin proche du parti socialiste français, sera désigné en 1993, il accédera à ce poste grâce au soutien des responsables marocains de la Ligue islamique mondiale dont Khalil Merroune, syndicaliste de la SNECMA, recteur de la Mosquée d’Evry et ancien membre du CORIF. Dès 1994, M. Bechari aura le soutien du ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri et celui du ministre des Affaires religieuses, Abdelkébir Alaoui Mdaghri, parfois contre l’avis des services de l’ambassade marocaine.
Après le départ de Youssef Leclerc de la présidence de la FNMF accompagné de celui des Turcs de Millî Görüs et la consolidation de l’UOIF, la fédération se videra de sa substance. Cette situation va principalement s’aggraver après les querelles de 1996-1997 sur la gestion de la Mosquée d’Evry et l’éviction des responsables marocains de la direction de la LIM.
La nomination de Youssef Leclerc au poste de directeur de la Ligue islamique mondiale (LIM) en 1999 va accélérer la descente vertigineuse de la FNMF, qui se retrouvera ainsi sans siège. Ce n’est que la relance du processus d’institutionnalisation de l’islam fin 1999 qui donnera un nouveau souffle à la fédération.
Avec le soutien des consulats marocains et des mosquées dirigés par des Marocains ou hostiles à l’UOIF, la fédération remportera en 2003 les élections du Conseil français du culte musulman avec 18 sièges sur les 41 que compte le conseil d’administration du CFCM. L’UOIF a eu 13 sièges, la Mosquée de Paris 6, les Turcs et indépendants 4.

Quel avenir pour la Fédération?


Décrite comme une coquille vide, la FNMF veut donner une autre image d’elle: elle vient en effet de constituer le 16 janvier 2005 son nouveau bureau administratif. Pour le président de la FNMF, Mohammed Bechari, ce renouvellement vise un réaménagement de la fédération et l’installation d’un secrétariat général fort et dynamique.
De nombreux présidents des conseils régionaux de culte musulman, CRCM, font leur entrée au bureau. Mohammed Bechari a gardé la présidence de la FNMF, Abdallah Assafir, président du CRCM d’Auvergne, a été désigné secrétaire général. Le titre de doyen de la FNMF avec tous les droits d’un membre permanent de la FNMF a été attribué au Sénégalais Chérif Ndiay.
Selon Bechari, 500 associations font partie ou soutiennent la FNMF, un chiffre contesté par de nombreux observateurs. La FNMF revendique 18 membres au sein du conseil d’administration du CFCM sur les 46, l’UOIF dispose de 16 et la GMP de 12. Un nouveau découpage régional des représentants régionaux de la FNMF, calqué sur celui du CFCM (25 régions), sera opéré prochainement. La FNMF n’est absente que dans trois régions, il s’agit des DOM TOM, de la Basse-Normandie et du Poitou-Charentes. Bechari veut se distinguer de deux courants, l’ethnonationaliste et celui de l’islam politique qui se réfère à l’international. En infirmant la présence des membres du mouvement de l’Adl Wai Ihssan du cheikh marocain Abdessalam Yassine, il confirme la présence des personnes qui peuvent avoir des affinités avec le Tabligh ou le Parti de Justice et de Développement marocain.
Les nouveaux responsables de la fédération espèrent lui donner une nouvelle image en étant plus sur le terrain et proposer un cadre mobilisateur autour de l’école juridique malékite et la formation religieuse. Les prochaines élections du CFCM jugeront l’efficacité de la nouvelle réorganisation de la Fédération et la conviction de ses membres.

"La définition juridique du culte en France désigne l’institution et non la croyance ou le dogme dont les pouvoirs publics n’ont aucune légitimité à les définir. La liberté de la pratique religieuse est garantie par la loi 1905, dite loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat, cette dernière réglemente et définit les relations et la gestion de l’institution cultuelle, qu’elle soit catholique, musulmane, protestante ou israélite"
"Le culte musulman français est pratiqué dans quelques 1.500 lieux de culte. Actuellement, quatre pôles structurent l’islam institutionnel de France :
1- islam officiel, sous influence des pays d’origine: la Grande Mosquée de Paris (GMP), la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), l’Union turco-islamique d’affaires théologiques (DITIB), certaines confréries subsahariennes.
2 - Islam transnational, ayant pour référence des mouvements islamiques, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Tabligh
3 - Islam national, composé d’associations indépendantes
4 - Islam confrérique et subsaharien qui peut être national ou transnational.
Il faudra remarquer que cette classification n’est pas figée, il peut y avoir des interactions entre les différents groupements religieux. Cependant, la majorité des fidèles qui fréquentent les lieux de culte ne se définissent que par rapport à telle ou telle institution musulmane, ils ont une relation traditionnelle avec le lieu de culte qu’ils considèrent comme le lieu de la pratique religieuse et non pas le lieu de représentativité du pouvoir religieux"

Hakim EL GHISSASSI

source : L'Economiste 8 février 2005
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(1) Ce dernier ne prétend pas représenter les populations de culture musulmane, il est l’organe représentatif des lieux de culte musulman (pour une description de l’organisation de l’islam de France, voir L’Economiste septembre 2004).