La tribune de l’ancien président indonésien Abdurrahman Wahid, publiée le 30 décembre 2005 dans le Wall Street Journal, va-t-elle rassembler autour d’elle? Abdurrahman Wahid nommé Dur (en fait: “Gus Dur”) dans son pays, le plus peuplé dans le monde musulman (219 millions d’habitants, dont 88% sont musulmans, 8% de Chrétiens, les autres pratiquant des cultes issus de l’ancienne Chine), appelle à une lutte globale pour sauver l’âme de l’islam et constituer une force populaire afin de mettre en valeur le vrai islam contre le faux et revenir à la spiritualité. Pour Wahid, l’idéologie rigoriste, sinon extrémiste, disposant de moyens financiers et logistiques conséquents est à combattre, elle est la source d’un islam littéraliste et simpliste qui veut imposer son interprétation de la charia islamique à tout le monde et qui rêve d’un khalifat utopique allant du Maroc à l’Indonésie et régnant sur le Monde. C’est une idéologie qui ne prend en considération ni les particularités et les spécificités du monde musulman ni le contexte mondial et l’évolution de l’esprit humain.

· Promouvoir l’Etat-nation au lieu de l’utopique khalifat

Pour ce faire, Abdurrahman Wahid appelle à respecter la dignité humaine en respectant la liberté de conscience de chacun et à rejeter toute volonté d’imposer une religion et mettre en valeur l’historicité de l’héritage musulman à travers ses 14 siècles en démontrant les spécificités locales. Il appelle aussi à mettre en exergue la place de la femme et à encourager les forces traditionnelles soufis encore non radicalisées et qui représentent la majeure partie du monde de l’islam et à reformer les écoles et medersa coraniques ou religieuses en prodiguant un message d’ouverture, d’amour, de paix et de tolérance. Il faudrait, d’après lui, favoriser les leaders d’opinions agissant dans un esprit de modération et faire valoir les bienfaits de la modernité dans la culture populaire malgré certaines de ses incompréhensions. Sur le plan politique, son idée est de défendre l’Etat-nation à la place de l’utopique khalifat et diffuser l’esprit de liberté, du bien-être de l’humanité dans sa diversité.

· Comment relier l’Etat et la foi religieuse?

Si on ne peut qu’adhérer à cet appel, la question qui se pose à nous aujourd’hui est celle de savoir comment les Etats-nations dans un monde globalisé peuvent-ils produire des exemples de la gestion et de la réforme du champ religieux.
Une telle action ne pourra se faire que si ces Etats inscrivent leurs actions dans une démarche démocratique respectant la volonté des peuples qu’ils administrent et pour lesquels ils orchestrent l’information et la construction de l’imaginaire populaire.
Il y a aujourd’hui trop de débats politiques et sociaux, stériles, autour de l’islam mais peu sont constructifs pour faire avancer la réflexion. Les sociétés contemporaines sont à la recherche d’une application des valeurs de justice, de liberté, de solidarité et de conciliation entre la nature, la culture, la modernité et le développement technique et humain. Se sont des valeurs partagées par toute l’humanité et c’est à chacun de définir son choix spirituel et ses convictions intérieures.
Certains se trompent quand ils crient que “l’islam est la solution”. En effet, si c’est une solution, pour quoi ou pour qui en est-ce une?
Une question à laquelle les réponses restent généralistes et démagogiques.
Aux forces vives de la société de se rassembler afin de redonner de l’âme à nos choix individuels et collectifs et faire barrage aux nouveaux fossoyeurs.

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Le «Gus Dur»

LA photo de «Gus Dur», Abdurrahman Wahid (né en 1940 dans l’île indonésienne de Java, son père a été ministre des Affaires religieuses), avec son épouse, Siti Nuriyah. C’est la photo telle que diffusée par son site Web officiel: pour l’épouse du leader musulman indonésien, pas de foulard, encore moins de voile ou de tchador. Abdurrahman Wahid a fait des études religieuses à Al Azhar, puis en Jordanie et au Canada; de retour dans son pays, il enseigne tout en poursuivant un travail de réflexion, de philosophie et d’épistémologie à propos de l’islam, ainsi que les relations entre la religion et les ethnies. Il fonde des associations pour la réflexion et la prédication dont la plus connue est la puissante Nahdalatul Ulama (NU, comptant 30 millions de membres, essentiellement des ruraux). En 1999, il est élu président de la République indonésienne, sous la bannière du National Awakening Party, contre le vieux dictateur Suharto. Wahid a cependant perdu son mandat en 2001: son manque total d’attention pour les questions économiques lui a valu d’être renversé. Pour Wahid, les extrémistes sont assimilables aux oligarques russes: ils veulent capter le pouvoir à leur profit. Il pense qu’avec un islam éclairé, il est possible d’enrayer l’éclatement de l’Indonésie, déchirée entre les luttes du séparatisme ethnique et les conflits interreligieux.

Source : l'economiste du 5.01.06