Etre à cheval entre une culture républicaine laïque et une autre monarchique constitutionnelle ayant des références religieuses est une expérience heureuse qui relativise les convictions et pousse à chercher les espaces de rencontres. C’est le cas aujourd’hui de nombreux Marocains qui vivent entre les deux rives de la Méditerranée. Un regard sur la structuration du champ religieux marocain ne nous laisse pas indifférent devant les débats que connaît l’Europe sur la place du religieux dans des sociétés qui après avoir tué Dieu cherchent à lui donner vie. Si la France considère la laïcité comme un « sézame » pour le respect des convictions religieuses et des opinions, le Maroc place l’institution de commanderie des croyants, imarat al mouminine comme garant de son unité sociale, culturelle et cultuelle. Faire des analyses sociologiques ou politiques sans respecter les particularités et les spécificités des sociétés étudiées peut conduire à de fausses routes habillant un discours idéologique par l’habit scientifique.

Si au début du siècle dernier le protectorat a oeuvré pour la restructuration du champ religieux marocain, il n’a agit que sur l’aspect économique à savoir le waqf ou les fondations pieuses en les réglementant.

Cependant la vie religieuse a été négligée, depuis l’indépendance du Maroc, la gestion du champ religieux est restée aléatoire, l’identité marocaine risquait de se perdre avec la mondialisation et l’invasion des idées et des pensées que le Maroc n’a pas connues durant son histoire millénaire.

L’actuelle structuration du champ religieux marocain vise à redonner au Maroc son unité cultuelle basée sur la spiritualité sunnite qui se manifeste dans le soufisme, le dogme ash’arite qui ne laisse pas la rationalité humaine dépourvue d’un appui transcendantal et de l’école juridique malékite qui place les finalités de la charia en premier lieu par rapport aux fondements juridiques laissant une place conséquente à l’influence des sociétés sur les avis juridiques. Pour ce faire de nombreux moyens sont aujourd’hui utilisés à savoir la réforme des instituts de formation principalement Dar al Hadith al Hassania qui est censé être le lieu de formation des oulémas. Ainsi les sciences de la charia ne représentent que le tiers d’un programme très intensif qui octroie aux langues (hébreux, grec, français et anglais…) et aux sciences humaines (philosophie, histoire, psychologie, religions monothéistes…) les deux autres tiers. Pour pallier la profusion des fatwas, un conseil supérieur des oulémas sous la présidence de l’amir al mouminine a été créé, il centralise ainsi les avis juridiques et les oriente dans le sens d’une sauvegarde de l’unité cultuelle du pays.

Des moyens de communication sont aujourd’hui mis en place afin de diffuser ce nouvel esprit, une télé satellitaire, un site Internet et une radio sont le socle de cette intégration du champ religieux marocain dans l’espace médiatique.

Les Marocains résidant à l’étranger ne sont pas abandonnés à leur sort : des initiatives sont en cours afin que ces derniers bénéficient de la nouvelle gestion du champ religieux marocain, toujours dans le respect des lois et des particularités des pays de résidence, selon les responsables.

Le défi qui attend les acteurs du champ religieux marocain est celui de définir le rôle des protagonistes, respecter les prérogatives des institutions et principalement faire admettre aux acteurs religieux qu’ils ont un rôle à jouer dans la diffusion d’un savoir religieux conjuguant authenticité et modernité et qu’ils doivent se limiter à leur rôle de transmetteur. D’autres institutions sont là pour légiférer et exécuter. Un pari qui, s’il est gagné, donnera au Maroc sa stature de modèle reproductible.
Par Hakim Elghissassi
Source : article paru dans sezame N°1(décembre) et dans l'economiste du 8 decembre 2005