Plus d'un an après l'invasion de l'Irak par les troupes américano-britanniques, la situation politique irakienne semble ne pas avoir évolué d'un iota. Occupation militaire, affrontements quotidiens, luttes pour le pouvoir mal dissimulées ou encore pillage des ressources pétrolières du pays sont quelques-uns des éléments constitutifs de la réalité d'un Irak en perpétuelle transition. Le plus préoccupant dans cette situation étant l'insistance des Etats-Unis sur l'importance de la donne communautaire dans le pays. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la machine communautaire continue à régir le quotidien des Irakiens. Non que ceux-ci aient opté pour un repli religieux qui soit fonction de leurs obédiences diverses, étant donné que la résistance aux forces d'occupation du pays se poursuit à travers une grande partie du territoire, et indépendamment de toute revendication d'ordre communautaire. Cependant, la nomination des nouveaux membres du gouvernement intérimaire irakien, qui ont commencé à officier mercredi 2 juin, mais qui devraient être officiellement confirmés dans leur rôle de représentants du pays dès le 30 juin 2004, ne saurait occulter le franc sceau confessionnel dont se voit frappée cette instance.

Un président sunnite secondé de deux vice-présidents, l'un kurde, l'autre chiite ; un Premier ministre chiite secondé par deux personnes d'obédience kurde et sunnite ; et un gouvernement de 33 ministres, dont 16 sont chiites, 8 sunnites, 7 kurdes, un turcoman et un chrétien. Le fait que 6 de ces personnes soient des femmes n'est finalement pas le fait le plus important, tant c'est l'insistance des Etats-Unis sur l'affiliation confessionnelle de ces personnes qui devrait retenir notre attention.

Car ces personnes sont malgré tout, et en dépit des apparences, le résultat d'une volonté américaine. Laïcité, opposition à l'ancien régime de Saddam Hussein, diplômes, long exil à l'extérieur de l'Irak sont quelques-unes des caractéristiques de la plupart des membres de ce gouvernement intérimaire, qui se voient évidemment bien plus soucieux de détenir un semblant de pouvoir que de favoriser réellement l'obtention par l'Irak d'une entière et souveraine indépendance. Pour mémoire, maints membres du Conseil Intérimaire de Gouvernement (CIG), prédécesseur de ce nouveau gouvernement intérimaire, s'étaient offusqués il y a quelques mois à l'idée de pouvoir être écartés à l'avenir de tout rôle dans la gestion des affaires du pays, certains d'entre eux ayant même appelé à ce que le CIG puisse se voir confirmé dans un rôle officiel de Sénat irakien. Devant le risque de nouveaux troubles susceptibles d'éclater suite au mécontentement de maints membres du CIG, les autorités américaines avaient-elles un choix autre que celui de s'épargner le mécontentement de personnes souvent acquises à leur cause ? Le franc écartement d'Ahmed Jalabi, ancien membre du CIG, est révélateur à cet égard. Cet homme d'affaires était le seul susceptible de jouer sur les alliances qu'il a passées avec des représentants politiques et religieux de tous bords (de responsables américains à des représentants religieux chiites en passant, selon certaines sources, par des hommes politiques iraniens), d'où la destruction de son Quartier général ainsi que son écartement du nouvel "exécutif" irakien. Signe que les temps changent on ne peut plus vite sous les cieux de l'Irak.

Il serait vain de traiter de la souveraineté que le gouvernement intérimaire irakien est censé acquérir à compter du 30 juin 2004, celui-ci n'existant que par la volonté des occupants américains et partant de l'Administration américaine. De même est-il illusoire de croire en un début de stabilisation dans cet Irak exsangue : les membres kurdes de la nouvelle instance dite exécutive savent qu'ils sont devant une chance historique d'obtention d'un Etat kurde indépendant, objectif pour lequel ils sauront assurément être patients mais pas moins tenaces. La seule réelle avancée est, dans les faits, susceptible de provenir de l'Organisation des Nations Unies (ONU), organisme international au sein duquel le Conseil de sécurité est censé adopter dans les prochains jours une résolution sur l'avenir politique de l'Irak. Cette dernière sera certes, et quoiqu'il arrive, porteuse d'éléments qui ne pourront que confirmer le statut fragile et à maints égards périlleux qui caractérise la situation irakienne actuelle ; mais au moins est-il susceptible, du fait de l'action de maints pays dont la France, de profiter de la quête américaine acharnée d'un soutien international global pour faire évoluer au mieux la situation irakienne vers une unité nationale qui puisse faire contrepoids à la partition annoncée de l'Irak. Jouer la carte du communautarisme dans le Proche-Orient contemporain est en effet la voie vers une nouvelle et très grave déstabilisation de la région. C'est pourquoi l'investissement, par tous moyens, de la communauté internationale en faveur de l'organisation d'élections irakiennes libres et transparentes est au bout du compte le seul fait réellement urgent et prioritaire dans la situation du pays.

Barah Mikaïl
Fondateur du cabinet de consultants ispri.com et chercheur associé à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)