sezame.info et l'association les amis de la médina avec le soutien de l'Institut des études de l'islam et des sociétés musulmanes (EHESS-IISMM) organisent les 3 et 4 décembre deux journées d’études sur le culte musulman en France. ces deux journées d'études portent sur des questions juridiques et non seulement sociologiques ou de sciences politiques. Pour quelles raisons ? Elles sont de trois ordres.

Les raisons des deux journées d'études : droits, libertés et obligations du culte musulman en France


1. Pour l’heure peu d’études et de rencontres se sont intéressées aux aspects strictement juridiques de la place de l’islam et des musulmans dans l’espace public national* .

A ce jour, ces questions sont monopolisées par des sociologues, des politologues, des philosophes qui offrent des grilles de lectures sociales et culturelles qui, par méconnaissance, écartent trop souvent les perspectives juridiques pourtant centrales. Ainsi des perspectives sociologiques (cf. L’Islam à l’épreuve de l’occident de Jocelyne Césari, 2004, s’intéresse à la transformation de l’autorité islamique liée à la condition minoritaire, d’émergence d’une nouvelle élite intellectuelle et religieuse), des analyses des politologues (cf. Fitna – Guerre au cœur de l’Islam de Gilles Keppel, 2004, en terme de bataille pour l’Europe), des essais de journalistes (cf. L’Islam, la République et le monde de Alain Gresh, 2004, démontant le fantasme de la « menace » islamique) qui apportent des grilles de lectures rarement normatives.

2. Il y va d’une doctrine juridique et non de la seule étude des relations d’autorité ou de pouvoir, non d’une sociologie de la connaissance, non d’un exposé conceptuel (S’agissant de doctrine juridique, nous pensons que ses règles d’élaboration et sa construction ne peuvent relever que du seul savoir universitaire ni des réponses réglementaires et administratives).

La perspective juridique, normative et jurisprudentielle, présente plusieurs avantages :

- elle permet de s’émanciper d’une grille de lecture philosophique et sociologique,
- elle dépasse les discours en terme d’intégration ou de communautarisme,
- elle offre des points de repères concrets sur l’état des libertés publiques et privées, collectives ou individuelles, en terme de droits et d’obligations des croyants et des institutions musulmanes ;
- elle mesure le degré de compatibilité du droit religieux coranique avec le droit étatique (voir par exemple le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme en 1993 dans l’affaire turque de la dissolution du parti politico-religieux Refah Partisi qui porte sur la question de la compatibilité entre l’Etat théocratique et les mécanismes de l’intégration juridique européen par le prisme du respect de la Convention européenne des droits de l’Homme )**.

3. Il s’agit donc d’établir un relevé et un bilan provisoire du régime juridique des activités religieuses des croyants musulmans, à la veille du renouvellement de la composition du Conseil Français du Culte Musulman, prévu en 2005.

De sorte que la démarche proposée est novatrice en interrogeant ces croyants du point de vue du respect des normes démocratiques dans un Etat de droit par le prisme de l’exposé des incidences juridiques et jurisprudentielles des pratiques des musulmans en France.

De l'institutionalisation de l'islam de France


Nous reprendrons ici le fil conducteur de ces Journées d’études tel que proposé à l’intelligence et à la raison des acteurs en présence.

En effet, depuis 2003, le cadre juridique des activités du culte musulman en France se singularise en raison de l’institutionnalisation de la représentation des pratiquants et la régulation par le haut des modalités d’organisation et de fonctionnement des structures associatives, ensemble marqué par un fort volontarisme politique. Aux régulations juridiques traditionnelles du « droit des cultes » (droit applicable, doctrine administrative, jurisprudence), s’agissant du culte musulman, l’intervention des pouvoirs publics, déclinée en terme d’« accompagnement » et non d’ingérence-immixtion, suscite de nombreuses interrogations au sein même de la communauté des musulmans mais également pour ceux qui définissent la « laïcité » par le seul prisme de la neutralité interprétée comme abstention totale de l’Etat.

Ce colloque inédit, en faisant l’état des lieux, privilégie d’abord la perspective technique et juridique (première journée) à partir de laquelle des débats peuvent enrichir et prolonger les perspectives en terme d’intégration juridique des activités cultuelles des musulmans en France (deuxième journée). De la sorte il dépasse les débats en terme de validation du croire et de légitimité politique et institutionnelle du culte musulman, en minorant le fondement constitutionnel et les cadres juridiques de l’exercice public et privé de tous les cultes en France.


Pour accomplir ce travail, il faut se livrer à un examen des décisions et des sanctions que le droit étatique a mis en œuvre, dresser un inventaire pour susciter des mises en perspectives pratiques dans une logique d’institutionnalisation et d’émancipation des droits et des obligations des musulmans. Pour parvenir à cette tâche, nous avons fait le choix de la technicité, de la pluridisciplinarité en sollicitant des juristes, universitaires et praticiens du droit, enseignants, chercheurs, hauts fonctionnaires et avocats pour qui le droit n’est pas une coquille vide, ni une abstraction. Le programme est dense, interactif en accordant aussi la parole aux acteurs impliqués dans la représentation des croyants en question, décideurs religieux. Les pouvoirs publics ne s’y sont pas trompés en soutenant un certain nombre de travaux et d’enseignements tels que ceux de l’Equipe Droit et Religions de la faculté de droit d’Aix-Marseille III qui dispense depuis un nouveau Master professionnel Laïcité, droit des cultes et des associations religieuses, nouveau et unique dans une université publique en France.

L’enjeu pratique d’une recherche juridique sur les pratiques des croyants musulmans intéresse non seulement la société des « décideurs », représentants des communautés musulmanes et des pouvoirs publics, mais également les acteurs et prescripteurs d’opinion de la société civile, citoyens et journalistes.

L’ensemble de ces acteurs est en effet confronté à un réel déficit d’information et de connaissance du régime juridique, fiscal et social des activités religieuses musulmanes et de leur personnel, à une médiatisation et une personnalisation constante d’une poignée de responsables musulmans à travers leur prise de position publique (on songe aux « positions mises en scène » de Dalil Boubakeur, de Fouad Allaoui, de Mohamde Béchari, de Tariq Ramadan, etc), à une tradition de suspicion d’un islam amalgalmé avec les phénomènes d’immigration, d’exclusion sociale, de violence politique par le prisme déformant d’une ouma, au mieux « étrangère », au pire « terroriste », d’islamisation des revendications identitaires.

De nombreux récifs se dressent sur notre voie tant la tentation est grande de poser la question de savoir si 1) « l’islam » est « soluble » dans la République laïque, 2) si l’on peut poser la problématique en terme de prise en compte de « revendications catégorielles » dans un système juridique qui ne reconnaît pas en tant que tel de droits à un groupe déterminé par ses croyances, comme à une minorité religieuse.

Nous faisons le pari de l’intelligence et de la recherche constante de points d’équilibre pour éviter les dérives et les écueils d’une logique religieuse ou catégorielle. Les débats et les échanges sont sources de compréhension. Ils permettent aussi de poser des conditions d’appréciations et d’analyse hors des sentiers battus de l’actualité et des effets d’annonce dont nous sommes habitués depuis quelques années, du Rapport de 2001 du Haut Conseil à l’intégration au Premier ministre L’Islam dans la République au livre d’octobre 2004 La République, les religions, l’espérance de Nicolas Sarkozy. Le droit du culte musulman se bâtît, progressivement, en France en référence à des tensions, à un important contentieux de la Cour européenne des droits de l’Homme, marqué de sceau de la volonté politique des ministres de la République, observé par de nombreuses capitales européennes, de Madrid à Berlin. Il doit tenir compte des acquis de la contribution consultative et juridictionnelle du Conseil d’Etat, de la doctrine administrative et des forces religieuses en présence.

Les choix juridiques, sur le statut des institutions religieuses, sur le régime des biens et des personnels religieux, sur l’état des libertés et des obligations des croyants musulmans, ne sont pas sans incidence. Ils relèvent d’un travail d’expertise et sur d’analyse juridique, exigeants, protecteurs, en un mot fondamental dans un Etat de droit soumis aux surenchères et aux tensions démocratiques. Ils appellent un effort tout particulier fondé sur la volonté et la capacité des musulmans à organiser et à faire fonctionner leurs institutions dans le cadre de la légalité républicaine, complexe, technique et exigeante tant les régimes associatifs, fiscal et social relèvent de l’ordre des impératifs et non de l’ordre symbolique ou virtuel. Du point de vue de ces exigences juridiques, la « religion » musulmane soumise aux injonctions légales du cadre du « culte » musulman s’institutionnalise en référence à des impératifs auxquels les religions traditionnelles ont été confrontés : statut associatif cultuel, réglementation de l’exercice des cultes (« police des cultes », « édifices du culte », etc). Ces exigences restent subordonnées à la professionnalisation des compétences et des capacités requises tant cette complexité et cette technicité restent antinomiques avec les approximations, le dilettantisme ou le laisser-aller.

Ce cadre exigeant ne relève pas d’une vue d’un esprit ni d’un sort particulier qui serait réservé aux musulmans. Tous les groupes de croyants on fait ou font l’expérience des ces exigences dans la concorde ou dans la crise. On songe ici aux tensions qui ont marqué la lente normalisation des relations de l’Eglise catholique romaine avec l’Etat français de 1906 à 1923 (marqué par exemple par l’exil des congréganistes de France, le refus d’adopter les statuts d’association cultuelle), mais aussi aux effets récents des mesures publiques de répression de certains groupements qualifiés par certains parlementaires de « sectes » (par exemple, la taxation rétroactive des offrandes consenties par les Témoins de Jéhovah, qualifiés du seul fait de leur comptabilisation en dons manuels révélés).


Il semble donc bien qu’il faille neutraliser les discours pessimistes en terme de contraintes et de problèmes. Alors qu’installé depuis des décennies en France l’islam est porteur de pratiques citoyennes, certaines de ses représentations ont admis publiquement et officiellement en 2000 (cf. le cadre de la « Consultation » aménagée par le ministre de l’intérieur et des cultes), à l’aube du XXIème siècle, le principe même de l’adhésion aux principes juridiques fondamentaux de la République française contenus dans la Constitution, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

En évitant de se focaliser sur ce qui ne fonctionne pas, on fait ainsi l'économie des discours en forme de jérémiades, de « victimisation » ou bien des dynamiques réprobatrices ou répressives. Il y va de l’intérêt respecté et bien compris des acteurs de la vie publique et civile dans un Etat de droit, Nicolas Sarkozy s’étonnant que « …l’on demande davantage aux musulmans qu’aux autres. Les musulmans ne sont pas au-dessus des lois, c’est vrai, mais prenons garde à ce qu’ils ne soient non plus en dessous ! » (précité, p. 61).

* Voir les développements figurant dans le Traité de droit français des religions (Litec, Editions du Juris-Classeur, 2003) ou encore dans l’Annuaire de l’Afrique du Nord de 1988 (Islam en France, islam, état et société) ainsi que quelques contributions des universitaires Franck Frégosi, Francis Messner, ou du haut fonctionnaire Alain Boyer, cependant que les avocats Chems Eddine Hafiz et Gilles Devers et annoncent la publication attendue d’un ouvrage juridique spécialisé. On attend aussi la publication en anglais du volume The new conseil français du culte musulman : what roles for State and Society ?, in French Politics, Culture and Society, Jonathan Lawrence Ed., 2005

** L’incompatibilité entre l’Etat théocrtaique et la Convention européenne des droits de l’Homme – A propos de l’arrêt rendu le 13 février 2003 par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Refah Partisi et autres contre Turquie, Revue Française de droit constitutionnel, 2004, 57, pp. 207-221 ; Alain Garay, L’Islam et l’ordre public européen, vue par la Cour européenne des droits de l’Homme, Revue de droit international, à paraître).