Les événements relatifs aux actes de torture opérés par certains éléments des armées américaine et britannique dans plusieurs prisons irakiennes n'en finissent pas d'amener jour après jour leurs lots de révélations et nouveaux rebondissements. Un état de fait souhaitable tant l'occupation de l'Irak se doit d'être montrée sous son visage réel et mener le débat public bien au-delà des conceptions se bornant à faire de l'exportation de la civilisation et de la démocratie – deux notions qui mériteraient un développement à elles seules – les fondements absolus d'un supposé nouvel ordre mondial. Il n'en demeure pas moins que cette focalisation, légitime, sur le "scandale" des tortures américano-britanniques ne devrait pas pour autant écarter la réalité d'une situation qui continue pour sa part à se dérouler en terre palestinienne. Le plan Sharon de désengagement unilatéral

Ces derniers jours ont en effet vu les événements poursuivre leur lot quotidien et désormais si habituel de violences. Le refus opposé par les membres du Likoud au plan unilatéral proposé par le Premier ministre Ariel Sharon pour un démantèlement des 21 colonies juives de la bande de Gaza ainsi qu'un retrait des troupes israéliennes de ce territoire semblent en effet avoir eu valeur de blanc-seing pour le gouvernement israélien qui, tout en maintenant l'illusion de sa recherche d'une alternative à sa proposition, continue à avoir la main lourde à l'encontre de la population palestinienne des Territoires. Dans ce contexte, le meurtre de 13 soldats israéliens revendiqué par le Djihad islamique la semaine dernière n'aura constitué qu'un argument supplémentaire pour l'accentuation des opérations de répression de l'état-major israélien. Avec de plus la destruction d'une centaine de maisons au nom de la toujours aussi sacro-sainte lutte contre le terrorisme. Un acte dénoncé par le Secrétaire général des Nations Unies, certes. Mais il convient de garder à l'esprit que la politique de destruction d'habitations palestiniennes par l'Etat hébreu, loin de constituer une nouveauté ou une quelconque exception, s'inscrit dans le droit fil d'une tradition inaugurée par l'Etat hébreu depuis sa création.

Faut-il, dans ce contexte, faire crédit à la volonté israélienne apparente d'opérer un retrait intégral de la bande de Gaza ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que toute démarche initiée par l'Etat hébreu ne saurait être entreprise sans que soit escompté un bénéfice lui profitant en retour. En l'occurrence, affirmer être prêt à tirer un trait sur la colonisation de la bande de Gaza s'entend, en contrepartie, par une accentuation de l'entreprise d'occupation en Cisjordanie. Le mur de séparation dont la construction est poursuivie avec acharnement par Tel-aviv en est une preuve ; les "demandes" officielles formulées par le Premier ministre israélien à l'occasion de sa récente visite à Washington, qui déclarait vouloir annexer à terme quatre des plus grosses colonies de Cisjordanie, en est une autre. En d'autres termes, dans un sens comme dans l'autre, ce sont bien les Palestiniens qui sont les perdants de l'histoire, tout règlement abondant dans le sens de la création d'un Etat palestinien ne pouvant qu'aboutir à une transgression des fondements légitimes de la citoyenneté palestinienne. En effet, si le droit des Palestiniens à obtenir un Etat fait peu à peu son chemin dans les esprits, l'accompagnement d'une telle éventualité d'une souveraineté étatique effective semble ne jamais vouloir être clairement envisagée par la partie israélienne.

Une alternative juste

Or la solution existe, qui constituerait un règlement juste du conflit israélo-palestinien. Le plan du prince Abdallah pour la paix, adopté par le sommet de Beyrouth lors de la réunion des Etats membres de la Ligue arabe en février 2002, constitue en effet la seule voie apte à introduire une paix durable et respectueuse au mieux des droits effectifs des Israéliens, des Palestiniens et partant des ressortissants des Etats voisins du Proche-Orient. La proposition qui avait alors été faite, et qui stipulait le retrait d'Israël sur les lignes de juin 1967 en échange de l'établissement de relations normales entre l'Etat hébreu et ses homologues arabes, a en effet cela de caractéristique qu'elle se conforme à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies, clé majeure pour la compréhension comme pour la résolution du contentieux israélo-arabe. Mais à l'époque, le gouvernement d'A. Sharon, pressé qu'il était d'écarter une solution par rapport à laquelle il se sentait politiquement, territorialement, démographiquement, militairement et stratégiquement perdant, s'était hâté de provoquer une nouvelle répression au sein des Territoires palestiniens, qui se démarquera notamment par le tristement célèbre massacre de Jénine. Parallèlement, on assistait là à une nouvelle voie dans le dynamitage du processus d'Oslo, seul événement finalement peu regrettable tant ce soi-disant règlement de la question israélo-palestinienne était porteur de claires défaillances symbolisées par les conditions mêmes de son élaboration, en 1993. Cependant, le retour à la case départ opéré depuis n'est pas sans amener une détérioration accrue du quotidien des Palestiniens, avec le lot continu de morts s'ensuivant ainsi que l'éloignement de toute perspective politique digne de ce nom.

Les récentes manifestations que l'on a vu éclater de la part d'une partie de la population israélienne en faveur d'un retrait israélien de la bande de Gaza font cependant partie de ces rares initiatives qu'il convient de remarquer comme de soutenir. La société israélienne a en effet cela de paradoxal qu'elle voit ses dirigeants pouvoir souhaiter des initiatives qui, si elles peuvent être soutenues par une majorité de la population, peuvent néanmoins répondre dans le fond à une motivation autre. Ainsi, si Ariel Sharon cherche par son désengagement de Gaza à trouver la voie vers la concentration de ses moyens d'action en Cisjordanie, on supposera ici la volonté effective d'une partie de la population de l'Etat hébreu – qui demeure cependant, et malheureusement, minoritaire – de vouloir réellement mettre un terme à l'abusive politique coloniale israélienne. Notons cependant qu'un tel crédit n'est pas pour autant à mettre au compte de la gauche israélienne qui, pour sa part, et bien qu'étant à l'origine de la manifestation précitée, a pu prouver à travers l'histoire que l'établissement d'une solution juste au conflit israélo-arabe ne faisait pas réellement partie de sa vision stratégique.

L'enjeu des frontières

Comble de l'ironie, les Etats-Unis, qui prouvent jour après jour leur colonisation de type nouveau quoique pas inédit qu'ils entreprennent de manière acharnée en terre d'Irak, continuent à être considérés par les Etats arabes comme seul recours potentiel dans l'activation d'un nouveau processus de paix israélo-arabe. Un fait dû à la réalité de la puissance américaine, qui la rend seule à même de pouvoir imposer ses vues dans la région, certes. Cependant, devant le peu de marge restant face à une telle situation, il ne reste pour les parties arabes en conflit avec l'Etat hébreu que de rester attachées aux dispositions du sommet de Beyrouth de mars 2002, dans l'attente de jours meilleurs. Que les élections présidentielles de novembre 2004 se traduisent par la victoire de George W. Bush ou de John Kerry, il restera en effet une certitude : les revendications arabes ne pourront aboutir que par l'adoption par les Etats arabes du Proche comme du Moyen-Orient d'une position commune et intransigeante. Sans quoi, la colonisation de l'Irak doublée de l'occupation israélienne de la Palestine ne contribueront qu'à faciliter le glissement progressif et, surtout, aisé vers une modification des frontières de toute la région.

Barah MIKAÏL
Fondateur du cabinet de consultants ispri.com et chercheur associé sur le Moyen-Orient à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS)