2007 approche. Et le débat politique, à gauche comme à droite, est totalement investi par la perspective des élections présidentielles qui auront lieu en avril de la même année.
La France a-t-elle les hommes politiques à la hauteur de la situation, tant en termes de compétence que de vision, pour renverser la vapeur ? Si la réponse à cette question est oui, qu’est ce qui empêche cette élite politique, détentrice de l’entreprise la plus riche de France (l’Etat) et donc de tous les pouvoirs, de mettre en place les mesures ou réformes nécessaires pour remettre la France sur les rails ? Si c’est plutôt non, comment susciter une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques qui soient mieux à même d’assumer les défis économiques et planétaires que traverse notre pays et de piloter la France ?
La réponse à la première question est que, depuis 1945, la France s’est dotée d’une élite de hauts fonctionnaires très compétente suite à la création de l’ENA (Ecole Nationale d’Administration), intervenue par voie d’ordonnance et donc sans passer par un vote au Parlement, pour remplacer les hauts fonctionnaires collaborateurs de l’Allemagne nazie. Le succès a été tellement grand que ces hauts fonctionnaires ont petit à petit occupé tout le champ des responsabilités politiques en évinçant peu à peu ce que l’on appelle les hommes politiques classiques formés sur le terrain local d’une mairie ou d’une circonscription. On s’est ainsi retrouvés, par une évolution lente mais certaine, depuis les débuts des années 90 avec la présence aux plus hautes fonctions de l’Etat d’un personnel politique essentiellement constitué de hauts fonctionnaires. Un seul fait pour illustrer cette réalité ; sur les trois candidats arrivés en tête du premier tour de l’élection présidentielle en avril 1995, L. Jospin, E. Balladur et J. Chirac étaient tous trois des hauts fonctionnaires diplômés de l’ENA. Il ne s’agit pas ici de critiquer l’ENA. Il est question seulement de rappeler qu’un Etat bien géré est une synthèse d’une élite administrative (Hauts fonctionnaires compétents et éloignés de la pression populaire) et d’une élite politique (élus du terrain qui ont des convictions et sont proches du peuple).

La France est aujourd’hui en situation de déséquilibre avec l’absence presque totale de femmes et d’hommes politiques proprement dits. La presque totalité de l’espace politique est occupée par les hauts fonctionnaires, par définition formés pour être éloignés de la pression populaire. Pire que cela, la France, au travers d’une majorité au pouvoir et d’une opposition qui guette son tour pour être aux commandes, connaît le pire taux de renouvellement de sa classe politique au rebours des évolutions que connaissent des pays comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Notre classe politique se coopte, se referme sur elle-même et éprouve énormément de mal à accepter des éléments extérieurs à son cénacle. Cela se vérifie lors des investitures dans les grands partis politiques aux différentes élections qu’elles soient municipales, cantonales régionales ou législatives. Les places sont chères et les candidats choisis font partie la plupart du temps de la « famille ». C’est l’une des raisons du décalage entre le souci de garder le pouvoir en gagnant les élections suivantes et les véritables enjeux du pays. Les partis politiques ont comme priorité fondamentale aujourd’hui non d’apporter des solutions fortes aux problèmes des Français mais d’être reconduits au pouvoir. C’est une vérité triste à énoncer. Mais c’est une évidence.

La compétence administrative des uns et des autres n’est pas à remettre en cause. C’est leur absence de conviction et de vision pour le pays qui est ici pointée du doigt. D’où l’importance d’éloigner les hauts fonctionnaires du gouvernement de ce pays. Car ce n’est pas leur métier, ils n’ont pas été formés pour cette tâche. Etre haut fonctionnaire est antinomique avec le fait d’être un homme politique. Erreur de casting pour employer une terminologie à la mode.
Il est important de rappeler cette évidence à nos concitoyens afin d’expliquer en partie ce qui arrive à la France, notamment son incapacité à répondre de façon courageuse aux difficultés qui la rongent depuis 30 ans maintenant.

Abordons à présent la deuxième question : comment susciter une nouvelle génération de femmes et d’hommes politiques, mieux à même d’assumer les défis économiques et planétaires que traverse notre pays, d’émerger et de piloter la France ? Là commencent les vrais difficultés.
Nous touchons ici au fonctionnement même de notre démocratie au quotidien telle que la pratiquent les partis politiques qui, tour à tour et de façon systématique depuis 1981, se passent les rênes du pouvoir dans notre pays.
Les partis politiques de gauche comme de droite, et principalement l’UMP et le PS qui représentent pour chacun d’eux entre 13 et 25% de l’électorat inscrit et votant à chaque élection, sont les détenteurs du pouvoir politique depuis la naissance de la 5ème République en 1958. Ces partis politiques garantissent de longues carrières politiques à leurs leaders. François Mitterrand, pour le PS, a échoué à deux reprises à l’élection présidentielle avant de gagner la troisième fois en 1981, après 40 ans de vie politique. Même situation pour Jacques Chirac chez l’UMP : c’est à la troisième candidature à l’investiture suprême en 1995 qu’il accède au sommet de l’Etat, après près de trente ans de vie politique. Ainsi, c’est après trente ou quarante années d’efforts que les hommes politiques dans notre démocratie française arrivent enfin à exercer le pouvoir suprême ; autant dire qu’ils sont fatigués, et avec cette fatigue interviennent des convictions politiques émoussées, parfois une maladie grave, et dans tous les cas, une incapacité à apporter les réponses aux problèmes des Français et du pays.
La conquête du pouvoir suprême en France est beaucoup trop longue, beaucoup trop éprouvante pour permettre à leurs détenteurs sitôt investis du suffrage universel de faire montre d’autant d’énergie, de courage, d’innovation, de dynamisme qui sont pourtant les qualités que demandent aux dirigeants de ce pays les Français et la France. Ainsi, la période de l’exercice du pouvoir s’apparente dans notre pays à une villégiature plus qu’à un marathon politique pour régler un à un les problèmes de la France… et Dieu sait si ces derniers se sont accumulés depuis trois décennies.

La légitimité de nos gouvernants en question

Pire que cela, les détenteurs du pouvoir suprême arrivent, après cette longue épopée, avec une légitimité toujours plus faible. De Gaulle, le premier président de la République, recueillait 45% de vote au premier tour de l’élection présidentielle de 1965 ; en 1969, Pompidou en recueillait seulement 38%. En 1974, Giscard d’Estaing, à peine 34%. 32% pour Mitterrand en 1981. La palme d’or revient à Chirac qui en 1995 et en 2002, lors de sa réélection, obtenait respectivement 21% et 17,9%. Ainsi depuis que la 5ème république a été instituée entre la première et la dernière élection présidentielle, la base électorale du candidat-président a été divisée par deux. Il n’est dès lors pas étonnant que, sitôt arrivé à l’Elysée, les difficultés pour réformer l’économie et le système social soient nombreuses, car pour la majorité des Français, le candidat élu président ne détient pas une légitimité suffisamment forte et à même de faire accepter de façon responsable à cette majorité les réformes entreprises par le Président de la République et son gouvernement.
Et c’est aussi ce déficit de légitimité qui fait que, depuis 25 ans, le parti au pouvoir perd systématiquement les élections suivantes, indice de ce que les électeurs français ne sont pas si satisfaits du choix que les oblige à opérer la règle de notre système démocratique en nous imposant de choisir entre les deux candidats arrivés en tête du premier tour. Le choix entre Chirac (la moins mauvaise solution) et Le Pen (la pire des solutions) lors du deuxième tour de l’élection présidentielle en mai 2002 illustre magistralement ce goût amer de l’électorat français dans son ensemble. C’est ce qui fait dire que nous sommes entrés dans une crise de régime à laquelle d’aucuns pensent répondre par une nouvelle République, soit la sixième. Mais ils ont la mémoire courte. Déjà le Général de Gaulle présentait les choses de cette façon aux Français en 1945 avec son fameux parti UNR (Union pour la Nouvelle République, soit la cinquième République). Aujourd’hui, celle-ci semble trop en difficulté pour durer. Croire que l’on règle les problèmes de légitimité par une énième République, là où les Etats-unis les solutionnent par des amendements à la seule et unique Constitution mise en place voilà deux siècles déjà en 1787, est une erreur en soi.