Né en 1935 en Irak, Dr Taha Jabir Alalwani est diplômé de l’Université El-Azhar où il a obtenu son doctorat en Loi Islamique en 1973. Après une longue expérience dans les universités du monde arabe, il est arrivé aux Etats-Unis en 1984, où il a participé à toutes les opérations fondatrices de l’islam américain. Il est président Fondateur de l’école des sciences sociales et islamiques en Virgnie, président du Conseil du Fiqh d’Amérique du Nord, membre fondateur de l’Institut International de la Pensée Islamique (IIIT). Il est actuellement à la pointe d’une réflexion innovante sur le Droit musulman de la minorité. Contributeur régulier de la Revue Islamique de Sciences Sociales, éditeur de Razis Al Mahsul fi’ilm Usul Al Fiqh en six volumes, Dr Taha Jabir Alalwani est l’auteur de nombreux articles et ouvrages en langue arabe et anglaise, entre autres :
Ethics of Disagreement, Rights of the Accused in Islam, Reform of Muslim Intellectual Discourse, Crisis in Fiqh and the Methodology of Ijtihad, The Islamization of Knowledge : Yesterday and Today. La Médina : Quels sont les fondements et les principales réalisations de l’Institut des Sciences Islamiques et Sociales?

Dr Taha Jabir Alalwani : L’école de Sciences Islamiques et Sociales fut fondée en 1996 dans l’Etat de Virginie. Combinant l’apport des sciences sociales et la Tradition Islamique, la philosophie de l’école est de relier la connaissance aux respect de valeurs et principes religieux, ainsi que de contribuer à une islamisation de la connaissance. Ceci signifie que les sciences sociales doivent être pratiquées et comprises de l’intérieur de la vision islamique de la vie, de l’humanité et de l’univers. La compréhension des sciences islamiques traditionnelles est décisive mais doit être menée dans un esprit critique, une sorte “d’ijtihad de la mentalité”, afin de permettre aux étudiants de développer de nouvelles méthodologies dans l’utilisation des sources classiques. L’école confère deux diplômes académiques : la maîtrise d’études islamiques et un diplôme professionnel permettant d’exercer des fonctions d’imams. Une quarantaine d’étudiants par an suivent les cours de la maîtrise en sciences islamiques et du diplôme professionnel d’imam. En 1999, l’école a reçu l’autorisation par l’Etat de Virginie de délivrer des doctorats en science islamique, ce qui est en fait la première faculté islamique américaine reconnue par l’Etat. L’autre principale réussite de l’école est de former et diplômer les aumôniers pour l’armée américaine. Le nombre de musulmans incorporés dans les différents corps de l’armée américaine est estimé à 10 000. L’école diplôme environ 10 aumôniers militaires par an.

La M. : Aux Etats-Unis, vous êtes un pionnier du Droit de la Minorité, quelles sont les dimensions principales de votre travail ?

Dr T.J.A. : Les différentes écoles de jurisprudence en Islam n’ont pas abordé la situation de la minorité musulmane. Les seuls cas pris en compte étaient ceux liés à des périodes exceptionnelles, comme, par exemple, en Andalousie, des cas requérant donc une jurisprudence exceptionnelle basée sur le principe de nécessité. De nos jours, la situation est complètement différente : être minoritaire est la norme et non plus l’exception ! Il faut donc résoudre la question du rapport à la Loi Islamique dans des sociétés qui ne sont pas régies par l’islam. Par exemple, pendant longtemps l’accession à la citoyenneté et à la nationalité dans des pays non musulmans était posée comme un problème par les jurisconsultes, dans la mesure où être citoyen d’un pays non musulman semblait incompatible avec l’appartenance à l’islam. Aujourd’hui tous nos efforts tendent à démontrer le contraire : à savoir que la citoyenneté dans un pays non musulman n’est pas incompatible avec l’engagement religieux. Dans cet effort de légitimation de la citoyenneté, comme de toutes les conséquences sociales et politiques liées à la condition de minoritaire, l’apport de toutes les écoles de droit est utile. Mon principal but est de pratiquer un effort d’interprétation en accord avec les exigences de la vie aux Etats-Unis.

La M. : Quels sont les problèmes religieux majeurs rencontrés par les musulmans dans la société américaine ?

Dr T.J.A. : Les musulmans américains ne rencontrent pas de difficultés majeures dans l’exercice de leur foi. La tradition de compréhension et de tolérance de la société américaine et des pouvoirs publics envers toutes les formes d’expression religieuse joue en leur faveur. La capacité de tous les groupes ethniques à se doter de représentants est une des fiertés de l’histoire nationale américaine. Toutefois, il est vrai que certaines questions se posent, comme par exemple celle du système bancaire capitaliste et de sa compatibilité avec l’islam. Même dans ce domaine, le gouvernement américain a récemment reconnu et accrédité certaines banques islamiques.
De ce point de vue, la différence avec la condition de l’islam en Europe est de taille : l’Europe reste dominée par des formes de nationalisme qui contrastent avec la vision plus mondialisée de la culture qui prévaut aux Etats-Unis. Je souhaite que la communauté musulmane américaine soit un modèle pour les musulmans en Europe. Il est temps que les Européens comprennent que le nationalisme est obsolète et que les temps sont à l’unification, aux rapprochements des personnes par delà les frontières des Etats-Nations.