Entretien avec Hassan Elboudrari, Maître de conférences, EHESS, CHSIM-CRH (Paris), réalisé à la veille de la journée doctorale : « Pratiques contemporaines du soufisme contemporain », PRISMM, EHESS, 18 juin 2004

Vous avez accorder votre parrainage scientifique à la journée doctorale interdisciplinaire organisé par l'Association Pour une Recherche sur l'Islam et les Sociétés du Monde Musulman (PRISMM), dans quelle perspective vous soutenez cette initiative ?


Tout simplement parce que, d’une part ils m’ont fait l’honneur de me le demander ! ; d‘autre part, et c’est le plus important, parce que ce genre d’initiatives m’a paru comme à soutenir absolument : voilà de jeunes doctorants, partageant le même champ de recherche, le soufisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui dans le monde occidental, qui voulaient prendre en main l’évolution de leur travail de recherche, construire un lieu et un moment où ils pourraient se rencontrer, discuter de leurs travaux respectifs, sans les pesanteurs académiques qui les empêchent parfois de prendre la parole dans les colloques et tables rondes organisés par les … « seniors ». Ils écouteront néanmoins ce que leur diront, parfois de manière critique, quelques uns de leurs « aînés », spécialistes du champ d’étude choisi et qui se sont montré disponibles à cette expérience.

Les jeunes chercheurs issus de l'immigration se sentent discriminés et contestent aujourd'hui le paternalisme des milieux de l'islamologie, quelles issues afin qu'ils aient la place qu'ils méritent ?


Je ne crois pas que le problème soit si simple à diagnostiquer avec rigueur ; si ces jeunes sont discriminés, ils le sont me semble-t-il par un impitoyable processus d’ordre socio-politique et économique et non en tant que tels, tout comme sont objectivement discriminés les enfants d’ouvriers, par exemple, peu représentés à l’université, comme chacun sait. Quant au paternalisme supposé, il est plus le fait de pratiques mandarinales, qui peuvent survivre ici ou là, que particulièrement de ce que vous appelez les « milieux de l’l’islamologie ». D’une manière plus générale, je suis convaincu qu’il faut croire en l’Ecole (au sens large) laïque et républicaine, et se battre pour qu’elle soit ouverte sur le monde et surtout pour que tous y aient leurs chances ; et s’il appartient aux différents acteurs d’imaginer des mesures d’accompagnement pour permettre aux plus défavorisés, quelles que soient leurs origines, de surmonter les handicaps « objectifs » auxquels ils peuvent être confrontés, il est plus particulièrement du ressort des jeunes chercheurs issus de l’immigration de s’imposer par leur travail : le travail de la connaissance et de la recherche des vérités du monde, sans sentiment d’infériorité, mais aussi loin des replis identitaires ankylosants, qui finissent souvent en autisme et en aveuglement.

Après des études orientales, la recherche sur le monde de l'islam s'est focalisé sur des aspects sociologique et politique. N'est il pas temps de voire ce monde à travers un autre angle et de faire place aux nombreuses études réalisées par les pens


Il est vrai que la recherche sur le monde musulman, et pas seulement qu’en France, a été depuis les années 1980 essentiellement orientée vers les sciences politiques ou la sociologie politique, mais l’histoire moderne et contemporaine reste bien représentée et l’anthropologie connaît un regain notable. Ceci étant, le monde musulman, les mondes de l’Islam devrais-je dire, l’islam lui-même, comme système religieux historique, doivent relever, au même titre que toute autre aire culturelle ou que toute autre religion, des sciences sociales et humaines en évolution. Evidemment des objets nouveaux, des problématiques imaginatives, sensibles à la complexité du réel, doivent constamment être construits, et proposés aux jeunes chercheurs, mobilisant des disciplines peu requises jusque-là : je pense notamment à l’anthropologie historique, à la psychologie, à la géographie, à la socio-linguistique, à l’histoire (surtout médiévale) sociale, des pratiques et des mentalités, etc.

Il s’agit aussi, certes, de tenir davantage compte des travaux scientifiques menés au sein même du monde musulman, en faisant surtout circuler les idées, les hommes et les femmes qui les élaborent et leurs supports, livres et revues scientifiques surtout. Malheureusement les obstacles à cette circulation sont assez nombreux : beaucoup de nos collègues du monde musulman sont demandeurs, mais les budgets alloués aux échanges internationaux ne suivent pas toujours, à part dans quelques institutions prestigieuses ; ces difficultés viennent aussi de ce que, en France singulièrement, l’apprentissage des langues dites orientales (arabe, turc, persan, ourdou, par exemple) est en quasi perdition ! Il est impératif que les pouvoirs publics prennent conscience de l’enjeu de cet apprentissage : pour l’avenir de la recherche, comme pour l’ouverture sur le monde que cela implique.

La France et l'Europe offre aujourd'hui un cadre de liberté pour une recherche sur la pensée musulmane, comment faire profiter le monde de l'islam de cette opportunité ?


Je ne dirais pas l‘« en faire profiter », ce serait un tantinet paternaliste ! ; je dirais plutôt construire ensemble de la connaissance, une connaissance libre, imaginative, évolutive, mise à l’épreuve par la recherche continue du vrai ; en se battant, ici, pour des politiques publiques de la recherche et d’enseignement de la recherche qui soient responsables et surtout conscientes de la dimension de l’enjeu : comprendre le monde d’aujourd’hui comme d’hier. C’est un impératif de vitalité et de … liberté !