· “Nous ne sommes plus regardés qu’à travers les notes des RG ou de la DST”
· Foulard: Plus de 100 déscolarisations
· Financement du culte : Attention aux approximations - L’Economiste: Quel est votre sentiment sur la situation des musulmans en France ?
- Fouad Alaoui: Il y a des situations positives et d’autres qui le sont moins. Je reste convaincu que la société française n’est pas islamophobe. Les musulmans s’intègrent mieux. Une classe moyenne émerge et nous ne sommes plus dans la situation d’immigrés qui viennent seulement pour améliorer leurs sorts économiques. Je suis confiant dans la gestion par l’Etat des affaires religieuses. Nous avons réussi à réunir autour d’une même table, les politiques, l’administration et les différentes composantes de la communauté musulmane. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que le CFCM n’a rien fait.
D’un autre côté, la sédentarisation des musulmans a produit une visibilité grandissante de l’identité musulmane. Nous sentons que nous sommes chez nous et nous osons aujourd’hui afficher notre identité. Les nouvelles générations sont décomplexées et assument leur identité musulmane. Je constate sur ce sujet des blocages au sein de la société française qui n’accepte pas cette visibilité de l’islam.
- On vous reproche souvent de faire un amalgame entre le politique et le religieux?
- Nous avons opté pour un engagement social, c’est de là que l’incompréhension s’est installée. Je me base sur ma religion pour dire que la force de l’identité religieuse du musulman le pousse à agir ainsi pour contribuer au bien de la société. La laïcité, ce n’est pas de cantonner la pratique religieuse dans une sphère individuelle clandestine. Mon engagement social s’opère en respectant les valeurs de la république, et en contribuant à son enrichissement.

- Le deuxième volet de la loi stipule qu’après un an, l’application de la loi puisse évoluer. De votre côté, comptez-vous vous mobiliser à la rentrée scolaire.
- La loi est applicable à chaque entrée scolaire. Notre mobilisation ciblera sa mauvaise application. Il y a une mission parlementaire mise en place pour l’évaluation. Nous sommes dans un pays démocratique. Nous ferons une contre-évaluation et nous présenterons une étude en juin. Nous espérons que le CFCM jouera son rôle dans la défense de la dignité des musulmans.

- Le foulard, le financement, la formation religieuse, l’islamophobie… Pourquoi vous assumez toutes ces charges?
- Dans une société démocratique, il faut toujours qu’il y ait des groupes qui défendent les intérêts des minorités. La minorité musulmane éprouve quelques difficultés. Avec sagesse, et dans un esprit d’ouverture, nous défendons ses intérêts.

- Le ministre de l’Intérieur a défini deux priorités: la création d’une fondation pour les œuvres musulmanes et la formation religieuse. Qu’en pensez-vous?
- Je tiens à préciser que ce sont des priorités fixées par le ministre de l’Intérieur. Ce ne sont pas des priorités édictées par les musulmans, la priorité de ces derniers c’est que leur pratique religieuse soit exercée dans la dignité et le respect. Cependant, cette pratique religieuse doit être faite en harmonie avec le contexte et nous demandons aux musulmans de réfléchir à ceci et qu’ils n’attendent pas que d’autres réfléchissent à leur place. C’est le but de notre prochaine rencontre du Bourget dont le thème sera “l’islam, quel contenu?”.
- Quelles positions avez-vous adoptée sur la création d’une fondation ?
- Nous n’avons pas d’objection pour la création d’une fondation. Nous disons en revanche qu’il ne faut pas se limiter à une seule entité et à travers laquelle on définira les bons et les mauvais fonds, les bons et les mauvais projets de mosquées. Je pense qu’agir de cette façon c’est nationaliser le financement du culte musulman.
La fondation doit être une structure privée et c’est aux musulmans de superviser un tel projet. Et comme nous sommes dans un cadre cultuel, je ne vois pas l’intérêt que des personnes extérieures à la gestion du culte s’y impliquent parce qu’elles sont artistes ou chefs d’entreprise. Je ne comprends pas également la volonté de vouloir financer la fondation essentiellement par des fonds étrangers. Les financements doivent être cherchés en France.

- Pourquoi interdire aux autres ce qui est permis pour vous ?
- L’essentiel du financement de nos activités et celles des lieux de culte en France ne provient pas de l’étranger. Dire que le culte musulman est financé essentiellement par des fonds provenant de l’étranger est à mon sens une méconnaissance (pour ne pas dire une déformation) de la réalité. Je suis convaincu que la part du financement étranger ne dépasse pas les 20%, y compris pour la construction des mosquées et beaucoup moins pour leur entretien ou gestion.

- Avez-vous donné une réponse au ministre de l’Intérieur?
- Oui. Nous sommes en attente de sa réponse. Pour nous, il est hors de question que la fondation se fasse en dissociation avec le CFCM. Le CFCM et les fédérations doivent jouer un rôle primordial. Cette fondation doit renforcer le CFCM et non le marginaliser.

- Que pensez-vous de la présence des pouvoirs publics au sein de la fondation?
- Si c’est une fondation d’utilité publique, il est tout à fait normal que l’Etat y soit représenté. La fondation doit être exclusivement réservée à la construction des mosquées. Nous sommes d’accord pour la présence des représentants du ministère de l’Intérieur, puisqu’il est également chargé des relations avec les différents cultes. En revanche, nous ne comprenons pas en quoi la présence d’autres ministères peut être utile.

- Vous avez annoncé en septembre la restructuration de l’UOIF, où en êtes-vous?
- Le but est de réaliser les adaptations nécessaires aux mutations que connaît la réalité musulmane en France et en Europe. Tout doit être achevé d’ici fin mai 2005. Afin que la nouvelle organisation soit adoptée lors de notre assemblée élective de septembre 2005.

- Quelles sont les grandes lignes de cette restructuration?
- Nous constatons une forte demande pour la formation. Nous étudions les articulations qui doivent y avoir avec les associations ainsi que les contenus de la formation. Nous rédigerons une charte qui devra être respectée par nos adhérents. Nous étudions également notre découpage régional. Devrons-nous passer des 8 régions actuelles à 25 régions à l’image du CFCM? Nous redéfinirons également les relations entre l’UOIF et les associations locales.
Notre objectif est de continuer l’œuvre de modernisation de l’UOIF en termes de pensée, de méthode de travail et de relation avec son environnement.

- Le 5 juin auront lieu les élections des organes du CFCM. Comment vous vous y préparez ?
- Nous souhaitons que les élections se déroulent sans querelles de chapelle. Nous n’avons pas d’objection pour des listes uniques qui respectent les équilibres régionaux existants. A notre avis, toutes les sensibilités doivent être représentées au sein des instances dirigeantes.

- Allez-vous présenter des listes à vos couleurs?
Nous n’avons pas encore pris de directives dans ce sens. Nous pouvons agir comme nous l’avions fait lors des premières élections : être des accompagnateurs et soutenir des listes qui incarnent notre vision.
- Que pensez-vous des associations qui se réclament indépendantes?
- Nous n’avons aucune réticence que des mosquées se disent autonomes des fédérations. Je pose la question autrement. Il ne s’agit pas de dire je suis indépendant ou pas, mais de dire j’ai une affinité pour telle ou telle fédération. Ce n’est pas une insulte de dire que la vision de la mosquée de Paris n’est pas en tous points celle de l’UOIF ou de la FNMF ou des fédérations ethniques ou vice versa. Les responsabilités sont au-delà de ces querelles. Les présidents des CRCM disent qu’ils sont sollicités sur toutes les questions relatives au culte : constructions de mosquées, aumônerie, carrés musulmans, pèlerinage, viande halal… Il y a une fièvre électorale qui s’installe. J’appelle à la responsabilité car nous sommes dans un champ religieux. Avant de poser la question: Est-ce que je me porte candidat ? il faudra se poser la question: Est-ce que je suis compétent pour telle ou telle mission ?

- Quelles sont les relations de l’UOIF avec les élus et autorités locales ?
- Nos différents interlocuteurs déclarent que les responsables de l’UOIF sont des partenaires valables et sérieux. L’UOIF n’est plus regardée qu’à travers les notes des renseignements généraux ou de la DST. Les pouvoirs publics ont découvert un autre visage de l’UOIF et des musulmans de France.

- Quelle est votre appréciation de l’action de Villepin par rapport à Sarkozy?
- Il s’agit de deux styles différents. Sarkozy supervisait lui-même les dossiers. Villepin s’investit quant à lui à travers des conseillers compétents. Lorsqu’il y a nécessité, on le trouve tout de même à nos côtés. Avant il était difficile d’imaginer qu’un ministre puisse s’asseoir avec les musulmans. C’est une évolution qui s’est opérée et c’est un acquis pour les musulmans de France.

Signes religieux: Une application trop restrictive


- Un an après le vote de la loi du 15 mars sur les signes religieux à l’école, quelle est votre position actuelle?
- Il y a un avant et un après. Nous étions contre le principe de légiférer car nous pensons toujours que cette loi est un frein à la liberté religieuse. L’application des lois relatives à la neutralité religieuse s’applique sur le personnel et non sur les usagers des services publics dont les écoliers. La lycéenne musulmane ne cesse pas d’être musulmane une fois à l’école. La loi a été appliquée d’une façon très restrictive, la consigne a été donnée pour l’interdiction de tout couvre-chef. Nous avons assisté au déroulement des conseils de discipline et nous sommes sortis avec cette impression qu’il n’y avait pas une volonté de discussion. Aucun conseil n’a opté pour des exclusions provisoires, toutes les exclusions ont été définitives. Sur les 48 expulsions annoncées par le ministre de l’Education, nous avons suivi 37. Nous avons recensé plus de 100 déscolarisations. Nous sommes pour que les filles défendent leurs droits au lieu de se déscolariser. Cependant plusieurs dizaines de filles ont retiré leurs foulards malgré elles et ont choisi la scolarisation. Les témoignages que nous recevons sont très poignants et nous étudions la possibilité d’inviter les filles qui ont retiré leurs foulards de venir s’exprimer à notre Rencontre annuelle des musulmans de France.

Formation: Pas d’exclusivité pour l’Ecole malékite


- Sur la question de la formation religieuse, quelles sont vos divergences avec les autres fédérations et les propositions du ministère?
- Nous n’avons pas de grandes divergences avec l’Etat. En ce qui nous concerne, l’institut de formation que nous avons mis en place ne fait pas appel à des imams ou à des étudiants étrangers. Le problème se pose pour les lieux de culte et les fédérations qui font appel à des imams de l’étranger, qui ne maîtrisent pas le français et qui n’ont pas une connaissance de la société française.
La seule chose qui est importante pour nous c’est le contenu théologique. L’Etat ne doit pas intervenir pour le définir en privilégiant telle école juridique par rapport à une autre. Sur ce plan, je suis très libéral. Je suis pour un enseignement synthétique des avis des différentes écoles juridiques. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui, sous prétexte que la majorité des musulmans de France est d’origine maghrébine, estiment que nous devons suivre exclusivement les avis de l’école malékite. A mon avis l’imam ne doit pas rester limité à une école juridique particulière. Il doit puiser dans les différents avis pour trouver l’avis conforme à la réalité française. S’il ne trouve pas, il doit alors conduire un travail de réflexion juridique collectif et se référer éventuellement au Conseil européen de la fatwa, ou au Conseil de la fatwa de l’UOIF.

Propos recueillis par
Hakim EL GHISSASSI
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(1) Il est également vice-président du Conseil français du culte musulman chargé des régions, et membre du bureau exécutif de la Fédération des organisations islamiques en Europe, président de sa commission “ Citoyenneté et études stratégiques ”