Entretien avec Mohamed Hamdaoui, président du MUR
· L’Occident perd son influence
· L’islam est toujours ancré dans son contexte local
· Deux genres de «nouveaux penseurs de l’islam»
Mohamed Hamdaoui, président du Mouvement Unité et Réforme, MUR, était l’invité marocain de la rencontre annuelle de l’UOIF, Union des organisations de l’islam de France, qui s’est tenue du 25 au 28 mars au Bourget dans la région parisienne (cf. L’Economiste du 29 mars 2005; www.leconomiste.com).
- L’Economiste: Quelles impressions avez-vous de la rencontre des musulmans de France?
- Mohamed Hamdaoui: Ma dernière visite en France date de 1993, à l’époque j’étais venu pour préparer mon diplôme du 3e cycle. Je remarque aujourd’hui que le discours des jeunes musulmans a beaucoup changé, les aspects religieux sont plus visibles.

· «Un seul choix, l’ouverture»


· De quels aspects, précisément?
- Au début des années 1980, le phénomène du l’éveil islamique se limitait aux adhérents des mouvements islamiques. Aujourd’hui, la pratique religieuse est devenue un phénomène général. Il y a une adhésion et un engagement général qui ne sont plus liés à l’appartenance à un mouvement islamique déterminé. Je me réjouis que lors de cette rencontre, tout le monde appelle à l’ouverture sur la réalité. Les musulmans en Occident n’ont pas de choix autre que l’ouverture qui ne peut se réaliser qu’avec la rénovation et le renouveau de la pensée et des moyens utilisés. Il leur est demandé d’accomplir des efforts supplémentaires et répondre aux différentes questions qui se posent. Il faut également arrêter d’importer les expériences islamiques des pays d’origine et de les calquer sur la réalité française. Les réponses élaborées dans nos pays d’origine sont le résultat d’un contexte particulier, elles ne peuvent être les mêmes pour d’autres pays.

· Vous appelez donc à plusieurs islams?
- Non! pas du tout, c’est le même islam partout mais avec une prise en compte des contextes qui peuvent être différents selon le temps et l’espace. D’ailleurs, l’imam Chafei quand il a changé de pays, il a fait introduire un ensemble de remarques et de transformations sur son école juridique. La réalité sociale change d’un pays à un autre, elle a moins de force et d’intensité que l’immuable dans la religion, c’est l’islam avec diverses expressions.

· L’UOIF appelle les musulmans à ne pas se limiter à une seule école juridique, comme la malékite, qu’en pensez-vous?
- Ceci peut se comprendre, si l’objectif est ne pas ajouter d’autres divergences à celles qui existent déjà, en effet, les musulmans de France ne sont pas uniquement des musulmans qui viennent des pays du Maghreb où le rite malékite est dominant, il y a les Turques hanafites, les chaféites… Cependant, l’expérience a montré que l’absence d’un rite de référence peut laisser libre cours à des interprétations individuelles non fondées, d’où le risque d’engendrer une pensée extrémiste.

· «La France restreint les libertés»


· Dans le monde islamique, certains discours, dont parfois le vôtre, disent que les musulmans de France sont opprimés et ils ne jouissent pas des droits égaux avec le reste de la société, que pensez-vous?
- Nous ne disons pas qu’il n’y a pas la liberté, de nombreux responsables de quelques mouvements islamiques ont trouvé refuge en Occident. Cependant, nous remarquons ces dernières années que le champ des libertés se réduit de plus en plus, nous avons l’exemple de l’affaire du hijab (foulard) ou l’interdiction de certaines chaînes satellitaires ou l’affaire du journaliste Taysir Alony. Ce qui m’attriste c’est que des pays démocratiques comme la France légifèrent pour limiter la liberté d’expression. Avant on reprochait aux pays arabes et musulmans de limiter l’accès à des chaînes étrangères, aujourd’hui c’est l’Occident qui a recours aux mêmes pratiques. L’Europe ne peut-elle plus tolérer des points de vue différents? J’ai une crainte sur la restriction de l’espace démocratique des pays européens.

· Mais l’Occident appelle les pays arabes et musulmans à plus de démocratie, à l’ouverture du champ politique et à la réforme des institutions?
- D’abord, la démocratisation est une affaire des peuples concernés. Au vu des signes précités, les Occidentaux sont de moins en moins en mesure de donner des leçons. Ils perdent de plus en plus avec ce type de comportement, la capacité d’influencer les décisions des peuples de la rive sud de la Méditerranée.

· On entend de plus en plus un discours sur les nouveaux penseurs de l’islam, où vous vous situer par rapport à ce discours?
- Il y avait et il y a toujours une nécessité de renouveler la pensée afin de ne pas succomber à la stagnation intellectuelle. De ce fait, il y a nécessité d’une pensée qui dialogue et répond aux questions de la société.
Mais s’il s’agit de penseurs qui veulent attaquer le dogme islamique de l’intérieur en visant l’immuable de notre religion, alors une telle entreprise est vouée à l’échec, car elle ne trouvera pas d’écho dans la société musulmane.

· On soupçonne les courants islamistes, s’ils arrivent au pouvoir, de vouloir remettre en cause la démocratie et de vouloir revenir sur les acquis des femmes?
- Ce reproche n’est pas fondé. Les principes démocratiques sont déjà appliqués dans nos instances, le choix du président se fait à travers des élections et notre règlement intérieur limite les mandats à deux, ce qui permet le renouvellement de la classe dirigeante. Nous avons instauré par la force du droit l’alternance et nous sentons l’importance que cette dernière octroie au dynamisme des institutions et à l’évaluation des responsabilités.
Concernant la place de la femme, leur nombre est plus important au sein de la mouvance islamique, d’ailleurs il dépasse le tiers dans notre mouvement.

· Dans la presse française, on a présenté votre mouvement comme proche des Frères musulmans?
- Notre mouvement n’a jamais appartenu aux Frères musulmans, et si c’était le cas, nous l’aurons annoncé avec fierté et transparence. Notre mouvement est purement marocain, il a été fondé après l’unification de 1996. Il existait avant l’adhésion de certains de nos membres au parti dirigé à l’époque par Dr Khatib. Nous ne sommes pas la branche religieuse du Parti de justice et de développement, et il n’est pas non plus notre branche politique.
Aucune organisation n’est la branche de l’autre, mais nous avons deux arbres qui puisent du même terreau et certes, qui ont des branches qui s’enchevêtrent.

Juger les apostats?


«Les études montrent que ceux qui se convertissent au christianisme n’ont pas une connaissance suffisante de l’islam et de ses finalités», affirme Mohamed Hamdaoui. Pour éviter ce problème, il faut, dit-il, principalement «mener un travail pédagogique sur le terrain pour une meilleure compréhension et une meilleure connaissance de l’islam». Il évite de se prononcer clairement sur la question de la mise en jugement des convertis, ce qui ne se fait plus au Maroc depuis une intervention de Mohamed V. Pour Hamdaoui, il faut «d’abord permettre aux gens d’avoir les moyens de connaître la religion musulmane». Il conclut en demandant «un grand débat dans la pensée musulmane sur la notion de l’apostasie».

· Le Maroc et les musulmans de France

Pour beaucoup, l’islam de France, et d’une manière générale l’islam d’Europe va renouveler la pensée musulmane et aussi arabe, grâce à la liberté dont jouissent les penseurs en Europe. Ce n’est pas le sentiment de Mohamed Hamdaoui, qui considère que chaque société a ses expériences spécifiques.

· Que peut apporter le Maroc aux musulmans de France?
- L’expérience que connaît le Maroc en matière de gestion de la mouvance islamique n’a pas de précédent dans le monde arabe. Le mouvement islamique au Maroc s’est basé sur la réalité marocaine. Le Maroc est le seul pays où il n’y a pas eu de confrontation avec les autorités publiques. Ceci revient à la nature du pouvoir marocain à référence islamique et la sagesse et la maturité des mouvements islamiques. Cette expérience qui a ses spécificités d’agir toujours dans le respect des lois du pays peut servir d’exemple à suivre. Les Marocains ont une méthodologie. Si elle est utilisée, elle pourra être bénéfique pour d’autres pays, le plus grand gagnant sera l’islam.

· Pensez-vous que cette expérience est transposable à la France?
- Il n’est pas possible d’utiliser les mêmes outils car le contexte est différent. En effet, c’est illogique que les réponses à des questions posées par la société française soient un prolongement de la réflexion et de l’expression marocaine. Les questions se renouvellent quotidiennement, les contextes et les histoires sont différentes.
Par contre, les autorités qui gèrent les affaires islamiques au Maroc, par le biais des Oulèmas, et les organisations islamiques par le biais de leurs penseurs, peuvent contribuer à l’émergence d’un islam harmonieux en France.

· Il y a un débat au Maroc autour de la question de la laïcité, où vous situez-vous par rapport à ce débat?
- Le discours sur la laïcité en France ne peut être le même que celui du Maroc dont la Constitution est bâtie sur la référence à l’islam. S’agissant des partis politiques marocains, ils agissent tous dans le cadre de la Constitution qui spécifie la référence religieuse islamique. D’un autre côté, les laïques se divisent en deux courants, un qui par conviction veut se définir comme laïc, nous respectons son choix et nous dialoguons avec lui, un autre éradicateur qui se permet d’offenser la pratique religieuse, c’est un courant marginal non représentatif même s’il a d’énormes moyens de communication.

Propos recueillis par Hakim EL GHISSASSI

source : L’Economiste du 5 avril 2005; www.leconomiste.com