L'UOIF décentralise et impose sa manifestation phare du Bourget. Les responsables musulmans locaux crient à «l'invasion » et dénoncent son unilatéralisme hégémonique. Tandis que la presse décrit une offensive et une main basse sur la Méditerranée française. La puissante organisation, de son côté, affiche un nouveau visage plus « ouvert » et plus « fier » de son Islam "Pour moi, c'est le PSG qui nargue l'OM sur son terrain" dit un "chauffeur" d'esprits pour désigner ce que plusieurs responsables associatifs musulmans ont déjà consacré comme "l'apparition de l'UOIF à Marseille". Pourtant cette organisation siège au Conseil régional du culte musulman. Qu'il vienne d'un simple supporter de l'OM ou d'un électron libre au sein de l'UOIF, cet arbitrage partisan était bel et bien sur toutes les lèvres. A l'occasion de la journée organisée par l’UOIF, dimanche 30 mai, au Palais des Congrès de Marseille. Un haut lieu de la ville que ses habitants d’origine maghrébine connaissent surtout pour sa proximité avec le Stade Vélodrome ou pour certaines manifestations de foire où traînent parfois quelques cartes postales du Bled. Souvent rafraîchissantes et exotiques d'un "là-bas", elles servent de pâturages aux "amitiés de souche" d’un "ici" où l'on se sépare souvent à l'entrée de l'establishment. Bref, ce genre de sortie partagée qui permet de relativiser l'empreinte catastrophique que les acharnements politiques et médiatique ne manquent pas de laisser sur les aspirations mixtes ou interculturelles.

Polémique ou début de campagne électorale

Que l'humeur du propos indique l'indignation ou la témérité, "l'arrogance" et "la démonstration de force" voire "un certain unilatéralisme" ont été les réserves les plus exprimées au sujet de la forme donnée par les organisateurs à leur manifestation. Un événement d'importance qui méritait pourtant de "bénéficier" de toutes les bonnes volontés. Mais que la presse locale, friande de divisions "islamistes", a cru diagnostiquer comme une "offensive", un genre de main basse de l'UOIF sur le Sud de la France. Tant la synergie habituelle des forces musulmanes disparaissait sous le poids du braqué de la puissante organisation nationale : "L'UOIF n'a certes pas besoin de la bénédiction ou de la participation du CRCM pour mener à bien ses projets. Le problème est que l'UOIF présente pour la deuxième fois sa rencontre annuelle du Bourget en se donnant, à coups de publicité, une visibilité qu'elle n'a pas sur le terrain : A Marseille, elle ne gère qu'un seul lieu de culte, rue Viala" déclare Youssef Mammeri.

Une interface avec les pouvoirs publics

Chargé de la communication du conseil régional cultuel, il n'hésite pas à rappeler que "l'image de l'Islam fait partie des objectifs statutaires » du conseil régional. Et de déplorer " la concurrence associative" qui a accompagné la mise en place de ce conseil à Marseille : " Nous sommes plus près du jeu d'acteurs que de la rationalité. Et il est clair que la mairie de Marseille prépare activement les élections cultuelles. En attendant, il est du devoir du CRCM de dénoncer toute tentative de récupération d'où qu'elle vienne. Aujourd'hui, on assiste à un outing des membres de l'UOIF qui s'avèrent très actifs alors que jusqu'à présent leur allégeance à cette organisation était moins évidente".
Les organisateurs, quant à eux, ne veulent pas quitter leur sourire et tentent de ménager les susceptibilités. Directement visé, Farid Amri, président de la Coordination des Musulmans de Marseille, ne veut pas entendre parler de polémique : "il s'agît plutôt de l'expression d'une diversité. Je peux jurer que notre seule intention, c'est de satisfaire ceux qui ne veulent pas monter à Paris ». Et de proposer : "Nous sommes riches. Nous sommes complémentaires. Et il y a tant à faire ! Pour l'histoire du cimetière, de la mosquée, du foulard, on se bat ensemble. Alors travaille, mon frère !". Selon lui, le partage des rôles est de rigueur et le CRCM se limite à "une interface entre les associations et les pouvoirs publics. Quand il s'agit d'activités particulières, c'est autre chose".

Une catastrophe théologique

Voilà pour la forme. Beaucoup moins aisée était la critique sur le fond. Et les mécontents étaient obligés d'obtempéré devant la qualité du programme. Les conférences ne semblaient pas supporter la polémique et le cœur et l'esprit avaient eu raison de la frustration ou…la jalousie( ? ?). Jusqu'à quand ?
L'islam "promu" et "déroulé" par l'UOIF, pour cette occasion, fait rêver et les inconditionnels de l'authenticité coranique et les indéfectibles de la constitution républicaine. L'UOIF du Sud a voulu faire oublier le fondamentalisme qui embaume l'accoutrement médiatique qui la caractérise sur le plan national: Elle est connue pour être "apparentée" aux Frères Musulmans, et à Marseille, les plaisanteries ont circulé sur "Notre-Dame du Golfe".
Pour le lancement de ce nouveau visage de l'UOIF, pas moins que le patron des imams de France, Tareq Oubrou, pour donner la mesure de la renaissance d'une organisation que les "spécialistes" du très "spécial" islam de France donnaient pour essoufflée voire épuisée par la crise du foulard islamique.

Du bar au Minbar

L'imam s'en prend sans retenue à l'insoutenable itinéraire de prédicateurs musulmans de France. Qui, selon lui, passent très vite du "bar au Minbar". Et d'évoquer l'un des ces exemples "extra-humains" du prophète Mohamed que les musulmans n'en finissent pas d'applaudir bien plus qu'ils ne les entendent. L'une des plus significatives traditions prophétique remise à l'ordre du jour : celle du Messager d’Allah validant la foi d'un converti qui confesse, tel un éditorialiste du « Point » avant l'heure, son manque de "goût pour la génuflexion". Après cela , qui va dire dans nos banlieues que celui qui ne prie pas est « infidèle » et qui se brouillera avec son concitoyen ou frère pour avoir voulu le "purifier" ? Sans doute pas le musulman qui aura assisté à l'Imam Oubrou lapidant "la loi du tout ou rien" qu'il a dénoncée comme "une catastrophe théologique qui a frappé l'Islam". Un véritable précis de tolérance qui va jusqu'à restituer au "haram" cette forme de vertu qui peut lui être consubstancielle parfois : "le péché peut être salvateur par la sagesse de la contrition et le repentir qu'il peut engendrer". Le super imam de France s'est fait le porte parole d'un jusqu'au-boutisme dans un Islam qui gagne à être connu. Très loin d'un Islam impropre, surtout médiatique d'ailleurs, et qui ferme ses portes tout en enfonçant celles des autres.


Le Moufti de Ramallah

Pour sûr l'UOIF frappe un gros coup en invitant les musulmans à ce champ de bataille oublié du Proche-Orient qui vient tout juste…d'être libérée par les aficionados de Tsahal : une armée ennemie s'il en est. Et rien de moins que le (Grand) Moufti de…Ramallah pour faire l'affaire ! Cette arrivée en a certes rajouté à la frustration des soutiens locaux de la Palestine qui n'ont pas pu mobiliser face à l'armée d'occupation. Conjuguée avec un tempérament jaloux, la frustration atteint son paroxysme avec la discrétion des organisateurs sur cette partie du programme. C'est compris : la polémique ne s'arrête pas là. Mais elle est interne au monde musulman, cette sempiternelle "Fitna" dont les musulmans ont fait une religion parallèle à leur foi. En tout cas, pas plus d'antisémitisme au Parc Chanot avec le Moufti d'Arafat qu'il n'y a eu d'islamophobie deux semaines auparavant à l'occasion de la fête des soldats de Sharon.

"Tekbir : Allahou Akbar"

Ce qui ne veut pas dire que ce vrai (Grand) Moufti n'a pas eu un accueil de choix, ni que ce dernier n'a pas saisi l'occasion pour inviter à la solidarité avec les musulmans des lieux saints en rappelant toutes leurs souffrances : "Une chose est frappante que la généralisation galopante des fauteuils roulants". Evoquant là une certaine postérité estropiée de Cheïkh Yacine, leader religieux tétraplégique récemment abattu par les services de Sharon et dont la disparition est loin d'avoir produit tous ses effets. Toutefois le dignitaire religieux se défend de toute "inimité religieuse avec les juifs" : "Jérusalem est la Paix. Nous avons aucun problème avec nos frères juifs. En dehors des insupportables injustices qu'il nous font subir". Une mesure qui ne survit pas à l'emportement solidaire de la salle qui a applaudi son intervention. A coup de Tekbir, glorification d'Allah, l'assistance l'a accompagné et raccompagné de salves de ralliement et de fraternité avec les "frères palestiniens" : "Tekir : Allahou Akbar", "Allahou Akbar". Aussi a-t-il rappelé à tous ces musulmans d'Occident leur lien humain et religieux à la terre sainte : "Chacun d'entre vous doit considérer qu'il est le propriétaire d'une pierre ou d'un bout de lieu saint" précise le religieux qui bénis "le courage, la générosité et la solidarité de la France et du peuple français dans son ensemble". Ce qui, à ses yeux, rend impardonnable toute mollesse dans l'action des musulmans de l'Hexagone.

Le passé sur grand écran

Paradoxalement, c'est cette conférence religieuse "insolite" qui a ramené des musulmans à la triste réalité de leur triste début de siècle. En effet la conférence qui a précède cette "réplique" au passage de Tsahal au Parc Chanot avait gonflé à bloc les esprits. Et pour cause Muslim Charfeddine, chercheur et "haut responsable" de l'UOIF, s'est fait une spécialité dans la gloire de sa religion. Et en la matière, l'endroit change du Bourget : au coeur de cette Provence investie jadis et longtemps alliée, avec son huile d'olive et ses vestiges qui couvrent tout le territoire concerné par la manifestation : "De Nice à Perpignan". Ce n'est plus d'une apparition de l'UOIF qu'il s'agit, c'est carrément du retour de l'Islam en Méditerranée européenne. Et l'universitaire de "bétonner" l'objectivité de son propos à coup de "90% de sources latines" dont il s'est fait le colporteur au service du combat de son organisation : une véritable bouillabaisse "mentale" toute patrimoine sarrasin cossue sur grand écran .


« 732 n'a pas eu lieu »

Cet islam européen et glorieux que les initiés n'évoquent plus et que les médias ne risquent pas de relayer sous cette forme-là : "732 n'a pas eu lieu" et "Les sarrasins étaient bien intégrés et très appréciés en Septimanie". La technologie est là pour malaxer les recoins des stèles d'étudiants musulmans à un âge lointain où les musulmans qui n'ont pas encore leurs écoles, disposaient déjà d'un enseignement : "On ne rapatriait pas les corps au Bled" martèle le chercheur dont l'objectivité n'a pas encore affronté le "militantisme". A l'entendre, rien ne s'est passé entre 732 et 737. Et c'est à l'occasion d'une visite du Pape à Montpellier en 1162 que l'on retrouve les pages de « sarrasin inconnu » de France . En honorant la ville, le saint pontife n'oublie pas de distinguer son prince musulman par une place de choix. Juste à côté de lui. La charge de ce notable musulman d'époque était d'importance puisqu'elle équivaut à celle de conseiller municipal moderne.
L'effet réel de cette archéologie interactive sur son auditoire est indescriptible. Mais les esprits, qui font à rebours le parcours historique de leur glorieuse mémoire, ne se lassent pas d'applaudir un condensé de flagrants délits latins dont le conférencier est le montreur officiel. Des applaudissement en guise de remerciements pour un délire vindicatif. Tant l'exposé scientifique s'apprécie en général plus qu'il ne s'applaudit . A moins qu'une "objectivité" scientifique repensée n'oblige.

Le temps des Papes

Parmi les esprits voyageurs du jour, certains devaient regretter plus vivement le temps béni des Papes dont Muslim Charfeddine s'est fait le sympathique chroniqueur. Et pour cause, il s'agit des héritiers directs du Prince d'époque, mais eux ne sont que modestes conseillers d'arrondissements de la République. Nouredine Hagoug , conseiller municipal du 13et 14èmes arrondissements de Marseille, était de la partie "je suis venu assurer l'UOIF de ma sympathie. C'est des gens intelligents et travailleurs. Leurs options fondamentales sont bonnes. Et puis en tant que musulman, je m'informe sur ma religion et ma communauté". A quelques sièges du conseiller municipal, une vieille connaissance de l'élite politique locale : Abel Djerrari, maire-adjoint du 12et 13èmes arrondissements et tête de liste indépendante aux récentes élections régionales. Comme son "vieil ami", il confesse être là "en tant qu'étudiant" : "Je découvre ma religion, ma communauté et mon histoire"
Mais derrière cette scolarité d'un nouveau genre cache mal une perspective de rapprochement entre les ambitions politiques des uns et les objectifs d'intégration affichée par les grandes organisations religieuses musulmanes. Abel Djerrari, dopé par des résultats "inattendus", ne veut pas faire d'amalgame entre son engagement politique et sa présence à la quasi-totalité de toutes les "opérations" religieuses de Provence : "Je suis là aussi parce que j'y compte beaucoup d'amis". Justement, la vérité sort de la bouche des amis, et Nouredine Hagoug est moins cachottier : "Gaudin s'est bien appuyé sur l'Eglise. Pourquoi pas nous". Et il rêve d'une "coopération intelligente" entre les "laïcs", "un CRIF musulmans", "les politiques". L'UOIF lui semble "avoir plus compris que les autres" : "Ils ont évolué et sont ouverts".

Vivre « avec » et non « contre »

Derrière ce "Ils", subitement générique de l'UOIF, c'est surtout un homme qui fait parler de lui : Mohsen N'gazou, délégué de la section Sud de l'UOIF et artisan de son irruption "offensive" contrastée à Marseille. Il jure de ses bonnes intentions et martèle à tout va qu'il ne vise que "deux objectifs" : "rendre visible de travail immense des associations musulmanes de Marseille et sa région et donner aux musulmans un peu de fierté après une année de bombardements médiatiques qui leur a ramené le moral à zéro . Expliquer, dire ce que nous faisons, tisser un réseau d'amitiés. Sans agresser personne, je veux faire mon devoir religieux et vivre "dans" et "avec" ma société française et non contre elle". Cela n'a pas l'air d'avoir suffi et des ombres persistent au tableau "islamique" de Provence. Et dont la moindre n'est pas la question posée d'une cohésion associative à l'aune du scrutin électoral dont cette "offensive" de l'UOIF a sans doute lancé la campagne. Pourtant le responsable religieux contraste sérieusement avec le fondamentalisme supposé ou réel de son organisation . L'œil tout en mathématique, une volonté de douceur non singée, un besoin d'affection française et un désir ardent de fraternité musulmane. Les responsables marseillais, quelques soient leur indignation ou leur philosophie ne peuvent pas nier sa volonté de dialogue et de communication. Rien n'est perdu pour l'homme autant que pour ses contradicteurs.
Reste que pour réunir les extrêmes, ni l'UOIF ni les associations musulmanes ni les pseudo-partis politiques qui feignent de s'interesser à l'Islam de France ne peuvent faire durablement l'économie dans leur débat de ces questions partagées et de portée moins "communautaires" qui forment une pensée sociale et politique. Sous peine de s'aliéner une population française qui a montré en 2002 et encore en 2004 sa volonté de vivre ensemble le même idéal républicain. L'Islam de France restera-t-il longtemps aveugle sur des sujets qui touchent tout le monde. Les récalculés (nombreux dans l'assistance), les intermittents (aussi), le collège général et la décentralisation (nombre d'enseignants)…Et surtout il faudra bien que l'UOIF s'interroge à propos de "ami juif" que le délégué de l’UOIF assure avoir bien invité au Palais des Congrès. Etait-il là à l'heure du Tekbir ? Ou bien… Enfin dans la première ville de Corse, une communauté de "victimes" et de la colonisation et des indépendances, et qui représente le quart de la population, n'a-t-elle pas une opinion citoyenne à exprimer, une expérience historique à partager à défaut d’un arbitrage à faire ?