Plus de 100 intellectuels, universitaires et spécialistes se sont donc attelés à nous faire un bilan des 50 ans d’indépendance du Maroc plus une perspective sur 25 ans, présentée dans ses grandes lignes. Ce travail, inédit dans le monde arabe, inaugure une nouvelle phase dans la recherche scientifique et l’évaluation des actions menées. Il aurait pu avoir une portée pédagogique supplémentaire s’il avait été accompagné, avant sa publication, par un travail de communication et un débat public comme l’était le travail mené par l’Instance équité et réconciliation (IER). Ceci dit, le rapport nous offre l’occasion d’une critique constructive pour aller au-delà des efforts officiels.

· Plus de participation avec plus de démocratie


De nombreux chantiers sont ouverts, mais il faudrait une démocratie plus participative pour permettre à la société civile et ses forces vives de mieux participer dans l’élaboration et la conceptualisation de propositions concrètes pour faire aboutir les idées et les projets. Lorsqu’un grand quotidien français titrait dans son éditorial: «Le Maroc à minima», c’est à cause, à notre avis, de la timidité du débat public et d’une implication insuffisante de nos médias, de nos intellectuels et de notre société civile, sans oublier nos partis politiques.
Dans la marche de la réforme, nous restons emprisonnés dans un esprit contestataire qui ne perçoit que le verre à moitié vide et qui, par conséquence, passe à côté des grandes dynamiques qui bouleversent notre société. C’est également à cause de l’absence, dans cette dynamique, de la diaspora marocaine, bien qu’elle soit très nombreuse, du paysage médiatique marocain, français ou européen. Aussi, la facilité avec laquelle nous portons souvent des jugements nous éloigne de l’esprit de citoyenneté et de l’amour du pays et de ses intérêts suprêmes.
Les débats sérieux restent timides et sans ancrage au sein de la société, la participation de nos intellectuels et universitaires reste également en deçà des enjeux. Il faudra créer des ponts qui fonctionnent entre les discours purement officiels et les discours scientifiques constructifs qui peuvent créer le débat et approfondir l’attachement au pays et à ses intérêts par une implication intelligente.
· L’exemple du caftan

Le rapport du Cinquantenaire souffre en quelque sorte, dans un monde de communication, d’un plan de communication et de marketing. La communication aujourd’hui construit l’imaginaire populaire et participe activement à la réalisation des ambitions et des idées et à leur adoption. Pour ce faire, il y a besoin d’améliorer le travail mené par nos médias privés et publics afin d’endiguer l’image négative dont souffre notre pays dans la presse internationale malgré les atouts énormes dont nous disposons.
Le spécialiste de la presse, quand il engage une recherche dans les banques d’images des grandes agences internationales, se retrouve devant des clichés, s’ils ne répandent pas les aspects contestataires, donnent l’impression d’un pays folklorique et entretiennent un imaginaire pauvre. C’est cette dichotomie qui a été longtemps et est encore diffusée dans les milieux occidentaux, sur notre culture et civilisation.
Il y a aujourd’hui un problème et un vrai défi pour véhiculer notre image sociale, politique, économique, culturelle et cultuelle. Si le caftan, pour ne citer que lui, est devenu une référence internationale c’est parce que, grâce à une poignée de militants, il a été inscrit dans une modernité qui a réussi à marier entre identité, authenticité et originalité.
Plus de deux millions de Marocains vivent aujourd’hui à l’étranger, ils commencent à constituer une force de pression et de transmission des valeurs marocaines. Cette diaspora marocaine à l’étranger a besoin que son pays d’origine l’aide en mettant à sa disposition des outils pédagogiques et en clarifiant les orientations stratégiques du pays afin qu’elle puisse conjuguer ses différents engagements et allégeances. Sans cela, il est difficile de lui demander de constituer des lobbys ou groupes de pression pour servir l’image du pays et lui porter un concours constructif.
De nombreux efforts sont fournis, mais ils ne prennent pas en considération l’évolution de cette diaspora et l’espace dans lequel elle agit.
Les représentations diplomatiques sont l’un de ses leviers. Elles doivent moderniser leurs actions, leurs gestions et leurs relationnels et être une sorte de relais de transmission entre les acteurs locaux et ceux de l’étranger. D’un autre côté, la société civile en est un autre, les autres secteurs économiques, culturels et cultuels, par leur imbrication dans le quotidien de l’expatrié marocain, jouent un rôle de valorisation et de mise en confiance.
Quel rôle la diaspora marocaine peut-elle jouer? Si le rapport a insisté sur le fait que la nature de la diaspora marocaine a beaucoup changé, il ne va pas plus loin, au moins dans la version disponible en ce moment, pour décortiquer les difficultés rencontrées par cette diaspora et la nature de son implication au sein des sociétés d’accueil.
Le Maroc a cette chance d’avoir, à travers le monde, presque 3 millions d’expatriés et des centaines de milliers de citoyens de confession juive en Israël. Il ne faudrait pas les négliger, car ils participent à la transmission des valeurs, de la tradition et de la culture marocaines.
Les auteurs du rapport, en décortiquant la réalité marocaine et en se projetant dans le futur, n’ont pas souhaité donner un mode de travail ou établir un plan d’action. Ils ont laissé cette démarche aux forces économiques, politiques et sociales. C’est du bon sens, qui respecte le but voulu de ce rapport et agit en cohérence avec ses propositions, donc la nécessité d’une bonne gouvernance qui ne peut se faire sans une participation de la société et du peuple.
En présentant le rapport ainsi que les travaux de l’IER, le Souverain a reconnu les dépassements de l’Etat en matière des droits de l’Homme. Il a, en outre, placé ses actions dans la continuité historique du Maroc. Il est, en cela, tout à fait en phase avec l’histoire du Maroc et la tradition musulmane se mouvant dans la continuité tout en assumant les erreurs du passé et faisant l’effort pour les réparer.
Exiger aujourd’hui de fragmenter l’histoire du Maroc et de faire des scissions avec les époques précédentes, ce serait se couper d’une partie de notre mémoire et négliger l’amour que les Marocains ont eu et ont toujours pour leur pays et oublier les efforts déployés dans l’époque précédente, pour mettre notre pays sur de bons rails et préparer le Maroc d’aujourd’hui, qui s’assume et va de l’avant.

source : l'economiste 24/01/06