Aujourd’hui un imam justifie la violence envers les femmes et souhaite l’islamisation de la France ; hier un autre se réjouissait des crimes perpétrés à New York, Bali, Rabat, Riad, Madrid... et appelle à punir les occidentaux qui souillent la terre de l’islam ; demain, si ce n’est déjà fait, un autre appellera à exterminer les juifs et proclamera le jihad contre les infidèles et les hypocrites de France et du monde, d’autres appellent leurs disciples à se retirer de la société des infidèles en quittant l’école ou l’université où sont enseignés le savoir et les sciences futiles des égarés du droit chemin. Des expressions certes marginales, ils ne représentent pas la majorité des musulmans, mais ils émanent d’illuminées qui gagnent du terrain à travers la France et à travers le monde et se basent sur les textes pour argumenter leur propos.

Une lecture litteraliste


Les personnes et groupes influencés par ces discours ont un point commun : ils sont à la recherche d’un islam litterraliste purificateur, ils veulent vivre un islam primiitif imaginaire. Ils sont dans la posture de l’habitant de la Mecque et de Médine à l’époque du prophète et des khalifes orthodoxes (il y a 14 siècles). Pour eux l’histoire de l’islam et des musulmans est une déviance du chemin tracé par Dieu.

Ce qu’ils peuvent encourir : emprisonnement, expulsion ou élimination, ils le considèrent comme une épreuve divine qu’il faudra accepter car Dieu les purifiera ainsi et purifiera leur rang des intrus. Ils se voient victimes et opprimés comme au temps des prophètes.

La précarité matérielle et les situations d’exclusion et de discrimination n’expliquent pas tout, il y a aujourd’hui dans le monde de l’islam à la fois un problème de transmission du savoir religieux et d’absence de références intellectuelles et religieuses identifiées. N’importe qui peut s’autoproclamer imam ou mufti, en faisant fi des conditions requises. L’appel à la fermeture de la porte de l’ijtihad (interprétation des textes) dans le passé était la réponse donnée aux développements de tels mouvements. Nous connaissons les retombées négatives de cet appel. La pensée musulmane est restée confinée dans un temps et un espace, elle s’est sclérosée. Elle est devenue archaïque et depuis ne répond plus aux questions posées par les nouvelles situations. D’autres voies doivent être envisagées, la longue observation des milieux religieux depuis 20 ans m’amène à faire les remarques suivantes :

La crise des transmetteurs : le touche à tout


Pour chaque question posée, il faudra demander l’avis du Cheikh X ou Y qui incarne le savoir des « premiers » et des « derniers ».
Le savant encyclopédiste n’a aucun sens aujourd’hui. Le transmetteur ne peut être le touche à tout, il a besoin de formation et de respect des spécialisations, il ne peut aujourd’hui donner son avis sur le foulard sans avoir une connaissance fine des sociétés et de ses dynamiques comme il ne peut donner son avis économique s’il n’a pas émergé dans le monde des finances et de ce qu’il lui est rattaché.

La formation des transmetteurs est une priorité, elle devra se faire dans un esprit d’ouverture et de partage avec d’autres expériences religieuses et humanistes. Cette formation nécessite un regard rénové sur les pédagogies, les programmes, les concepts utilisés.

La formation devra être accompagnée de la définition des critères de reconnaissance du transmetteur et les moyens de pénalisation des imposteurs. La volonté de se démarquer de la hiérarchie catholique poussent certains mouvements à rejeter toute structuration des transmetteurs du savoir religieux. Les modes d’organisation connus dans les premiers temps de l’islam ne peuvent être adoptés dans le monde moderne qui connaît une évolution dans les outils d’analyse, d’interprétation, de transmission et de communication.

La crise éditorial, l’apologétique et la littérature marchande


Le visiteur des librairies dites musulmanes remarque l’inflation de la littérature apologétique, concordistes et litteraliste de la religion, à côté du parfum islamisé, c’est ce qui se vend le mieux vous dira le libraire. Les traductions se font sans contrôle ni révision, la traduction du Coran lui-même dans la plupart des cas est litteraliste et ne prend pas en considération la production exégétique, les nuances linguistiques et les outils modernes dans la lecture des textes. Le texte coranique ne pourra être compris et assimilé dans son essentialité s’il n’est pas mis en situation, à savoir la société de réception dans toute sa diversité, les interprétations au cours de l’histoire et la lecture que nous pouvons en faire aujourd’hui.

Nous ne pouvons avoir une interprétation ou une traduction du Coran et de la littérature religieuse sans prendre en considération les avancés en matière de droits de l’homme : égalité, liberté des consciences… , les nouvelles formes d’organisation des sociétés : la famille, les solidarités… ; la sécularisation : distinction entre le politique et le religieux, la supériorité du droit positif, etc.

Devant l’absence de structures de régulation et de contrôle, le champ reste libre pour certains éditeurs et libraires, qui à l’abri de la critique et sous couvert de liberté d’expression diffusent une littérature dévastatrice d’une jeunesse dépourvue de moyens de jugement adéquats. Les éditeurs et libraires religieux musulmans devraient établir une charte déontologique et accepter l’arbitrage d’instances indépendantes.

De l’arabe coranique à l’arabe culturelle


Plus de 100 000 enfants suivent l’enseignement de l’arabe dans les mosquées de France, cet enseignement se fait autour du texte coranique par des enseignants qui, dans la plus part des cas, n’ont pas les compétences nécessaires. Limiter l’enseignement de la langue arabe dans la sphère religieuse prive cette dernière de sa valeur culturelle et universelle. Les enfants qui suivent cet enseignement n’ont de l’arabe que le regard religieux, tout ce qui est créativité littéraire, artistique ou sociale n’est pas considéré comme enrichissement. On prive ainsi l’enfant d’autres expressions et on réduit son imaginaire au fait religieux ; il ne garde dans la plupart des cas que le côté répressif du licite et de l’illicite. La réforme et la professionnalisation de cet enseignement sont demandées avec insistance par les parents.

Il existe dans l’école publique deux types d’enseignement de la langue arabe : les ELCO (enseignement des langues et des cultures d’origine) destinées aux ressortissants de pays étrangers ayant signés des accords avec l’Etat français (Maroc, Algérie, Tunisie) et un nombre limité de classes d’arabe dans certains lycées (environs 7000 lycéens passent l’examen de l’arabe au bac).

En France, la langue arabe est regardée soit comme une langue étrangère ou une langue religieuse. Les propositions de la commission Stasi sur cette question sont passées inaperçues. En effet, la demande d’apprendre l’arabe n’est pas limitée aux milieux religieux musulmans, la demande émane aujourd’hui de différentes composantes de la société française et, de plus en plus, un enseignement laïcisé est souhaité. Une démarche volontariste de la part de l’éducation nationale est attendue afin de revoir l’enseignement des ELCOS et le développement de l’enseignement existant.

De l’esprit globalisant à l’esprit relatif


L’islam est la solution : c’est le mot maître des acteurs politico-religieux dans les sociétés musulmanes, qu'ils soient dans des espaces majoritaires ou minoritaires comme en Europe par exemple. Devant l'absence d'une modernisation de la régulation du religieux et de réformes politiques, économiques et culturelles, ils bricolent ainsi des réponses. Certes, ces acteurs puisent dans la technique et donnent l'impression d'un modernisme, mais les modes de pensée et de créativité restent accrochés à une certaine conception imaginaire de l'islam des premiers temps d'où l'absence de toute créativité artistique, littéraire et même spirituelle.

La volonté d'exprimer sa pensée politique à travers le champ religieux dénature ce dernier et l'implique dans les aléas très fluctuants de la politique, il n'est plus ce champ universel où l'on peut se ressourcer et se partager dans le respect. Ne voir dans le religieux que le côté normatif le rend rigide et le fige dans des règles établies pour un espace et un temps donnés. Le champ religieux est appelé à reformuler ses priorités et ses terrains d'élection. Dans le monde moderne, son apport est principalement spirituel en appelant à la vie et à la paix dans le respect des différences et des cheminements. En faisant une séparation entre la normativité et l'essence spirituelle de la religion, il rejoindra ainsi d'autres mouvements ayant mis l'humain au centre de leurs préoccupations.

De nombreuses questions qui se posent aujourd'hui à la pensée musulmane peuvent trouver leurs réponses en redéfinissant les champs de la gestion religieuse et de la gestion de la cité à savoir principalement l'égalité des sexes, la liberté religieuse et la place du normatif.

La grande difficulté des musulmans est l’absence de structures permettant une diffusion d’une pensée libérée de l’idéologie et des lieux de réflexion et de débat où le respect des opinions et des croyances est pratiqué sans adversité ni absolutisme.