Parue cette année aux Editions Léo Scheer, cette fiction s'inspire de l'ouvrage d'un officier musulman de l'armée française durant la guerre de libération algérienne. L'auteur laisse ainsi entrevoir ses propres positions vis-à-vis de cette séquence de l'histoire. Pour Hocine Tandjaoui, la négociation et le compromis franco-algérien auraient dû être privilégiés. C'est une histoire « impossible » concentrée en 118 pages et plus de 7 ans. L'histoire de la lutte anti-coloniale algérienne et surtout celle d'une négociation avortée entre l'Algérie et la France. Car c'est bien là le propos. La voix du narrateur, un officier algérien de l'armée française, et une voix parallèle venue de loin, celle d'un Numide s'adressant à Augustin, plaident pour un compromis qui n'a pas eu lieu. Et contre une violence qui, à en croire l'auteur et la construction de l'ouvrage, remonte à l'Antiquité. Une fatalité ? Non, puisque qu'il existait bien des officiers pour qui « la négociation valait mieux que les armes », commente l’auteur. A la lecture de l'ouvrage du lieutenant Rahmani, L'affaire des officiers algériens publié au Seuil en 1959, Hocine Tandajoui est interpellé. L'auteur, qui a d'abord fait ses armes dans le journalisme, le théâtre et la poésie, a ressenti « l’envie d’un renouveau par l'écriture littéraire ». « Je songeais depuis un moment à un projet qui mettrait au cœur de l’écriture l’histoire. » D'autant qu'il partageait les positions de Rahmani et de ceux qui selon lui avaient fait le choix du « camp de la paix ».

Soldat de métiers

Mais, comme chacun le sait, le destin en a décidé autrement. Dans ce livre, on redécouvre la guerre qui a eu lieu, avec un regard nouveau, à travers une fiction tantôt poétique, tantôt apocalyptique. Elle décrit la vie d'un soldat qui se dévoile et s'humanise peu à peu, dans une sorte d'ambiguïté entretenue par l'auteur. C'est un ouvrage qui se laisse découvrir, glissant une confusion entre une guerre cautionnée ou pas, et entre soldats Français et Algériens de l'armée coloniale. Comme dans un rêve - ou un cauchemar meurtrier -, le lecteur est de prime abord interloqué par la lenteur et le flou du récit. L’impression d’absurdité de la guerre est finement restituée au fil des pages. On passe progressivement de la légère promenade des soldats à l'horreur. « Une guerre a commencé », et à la poésie du numide s'oppose la violence du militaire, illustrée par la crudité soudaine des mots de l’auteur. Mais là encore, « Il faut que ce soit lent. Le rythme fait partie de la leçon », lit-on à propos de la destruction d’une maison. L'auteur expose patiemment une atmosphère qui fait la part belle à un certain art de la guerre, principalement « des rues et des maisons », depuis des temps anciens, puis durant la lutte de libération dès 1945.

Voilà donc un ouvrage qui semble parler des harkis sans jamais les nommer, ou presque. Et pour cause. Si l'on est bien plongés dans le quotidien de soldats de l'armée française, à cette particularité près que certains sont Algériens, tous ne sont pas harkis. Parmi les soldats de métiers, il y a ceux qui ont déserté pour rejoindre la guérilla et ce qui sont restés des « officiers indigènes ». On apprend que ces derniers sont ensuite qualifiés « de criminels, puis de mercenaires ». Il fut aussi question « d'exactions dont les harkis se seraient rendus coupables », et de messalistes harcelés après la guerre jusque dans le Vaucluse par des anciens FLN. Hocine Tandjaoui met ainsi la lumière sur les différents clans de la guerre d'Algérie, et sur la mobilité d'un camp à l'autre quelles que soient les origines. La lutte anti-coloniale a en effet aussi été une guerre entre Français. Et une autre entre Algériens, à cause de la lutte fratricide entre le FLN et son rival messaliste, mais surtout à cause des « Musulmans » qui ont été nombreux du côté français. Parmi eux, le lieutenant Rahmani, dans la réalité, et après lui le narrateur de ce roman. Le mot « harki », souvent étendu d'une catégorie de supplétifs à l'ensemble des soldats et auxiliaires musulmans algériens de l'armée française, évoque aujourd'hui plusieurs images contradictoires que l'on retrouve dans la fiction de Hocine Tandjaoui. « Je me demande si la mort ne l’as pas habité à partir du moment où il a accepté qu’on l’appelât harki », dira la compagne de l'officier en Provence après l'indépendance. « Le comble pour un soldat de métier d'être rangé parmi les supplétifs. »

De l'exil

Dieppe, fin de la guerre, début du « rapatriement » et du « regroupement ». Alors que certains souhaitent l'oubli, la présence de morts persiste et semble pourvoir mener à une vérité. Car « retournées, les vestes livrent les identités ». L'exil n’est pas étranger à l'auteur. Lui-même berbère par sa mère et né à Biskra, dans les Aurès, comme l'officier qu'il met en scène et dont il partage également les positions. De l'écriture de l'histoire à l'écriture de soi, il n’y a qu'un pas. Né peu avant la guerre d'Algérie, Hocine Tandjaoui a fait comme d’autres le choix du départ, n'acceptant pas après l'indépendance le pouvoir exercé par le FLN, et farouchement opposé à l'idée de libération par les armes. Quoi qu'on pense de la polémique que porte ce roman, il montre la complexité d'une guerre souvent mal connue. Mais il peut perdre le lecteur dans le flou artistique qui cache longtemps le narrateur et rend ses choix incertains avant la chute finale. Et si les « notes numides », comme une voix off, rythment de façon heureuse le récit et l'aèrent du même coup, elles n'aident pas forcément à la compréhension du message de l'auteur. Les jours lents s'adresse finalement plus à ceux qui auraient déjà une connaissance de cette histoire, ou qui auraient été suffisamment séduits par la fluidité et la force du récit pour le relire.