Nicole Ameline est ministre déléguée à la parité et à l’égalité professionnelle, auprès du ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité depuis juin 2002. L'un de ses objectifs majeurs et de faire avancer la cause des femmes et de développer leur place dans la société et la politique. La Médina : Quelle est la situation actuelle en matière de parité et d’égalité entre les hommes et les femmes en France ?
Nicole Ameline : Cette question est centrale pour le Gouvernement. Et elle est au cœur de ma mission. Nous avons fait le choix d'une dynamique nouvelle de l'égalité fondée sur l'apport positif de la différence et de la diversité. Notre droit prend en compte, pour l'essentiel, le principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Mais notre défi actuel est bien de donner un contenu réel, effectif à ce que nous considérons, non seulement comme un principe fondateur de la République, mais également comme facteur de croissance économique et de cohésion sociale. La France a besoin de tous ses talents, en politique, comme dans le domaine économique, social, culturel, associatif.
J'ai construit mon action sur quatre grands objectifs complémentaires, qui doivent faire progresser notre pays vers l’égalité entre les femmes et les hommes :
- un meilleur partage des responsabilités politiques, professionnelles et sociétales,
- l’égalité professionnelle réelle,
- le respect de la dignité de la personne,
- une meilleure articulation des temps de vie.
L'approche des questions d'égalité implique une démarche transversale de conduite de changement, qui repose sur la mise en réseau des acteurs et sur la construction d'un cadre moderne pour un dialogue civil et social renouvelé, afin que se diffuse, sur l'ensemble du territoire, une nouvelle conception du rôle et de la place des femmes dans notre société.
Dans le domaine de l’égalité professionnelle, j'ai renforcé les liens avec les partenaires sociaux sur les sujets centraux que sont les inégalités persistantes en termes de salaires et de carrières, mais aussi sur l'approche renouvelée des compétences et des potentiels humains au sein de l'entreprise.
L'innovation sociale est aujourd'hui un facteur de productivité. Et la visite que j’ai organisée avec les partenaires sociaux en Europe du nord a précisément pour objet d’en mesurer l'efficacité et d’en accélérer la pratique sur notre territoire.
La France a pris conscience de l'importance du travail des femmes pour développer la croissance. Il est essentiel que la société s’adapte pour faire éclore les talents et fructifier un formidable potentiel de développement d’une économie moderne.
La modernité repose, en effet, sur la diversité des talents, des origines, des cultures. Notre vision de l’égalité dépasse la stricte question des femmes pour prendre en compte la différence comme facteur d’enrichissement personnel et collectif.
Dans le domaine politique, la mise en œuvre, par la récente réforme du mode de scrutin pour les élections européennes et régionales, d’une alternance stricte hommes-femmes sur les listes électorales est un progrès supplémentaire sur la voie de la parité.
La mise en œuvre de l’égalité appelle cependant des avancées complémentaires, si l’on veut résolument ouvrir la vie politique à la culture nouvelle de la parité.

Concernant les droits des femmes : lesquels sont acquis et lesquels sont encore bafoués ?
Aucun droit ne peut jamais être considéré comme définitivement acquis. Les violences envers les femmes montrent le chemin à parcourir pour assurer le respect de la dignité. Notre principe est simple. En matière de violence conjugale et familiale, tolérance zéro. Combattre les violences, c’est affirmer partout où elles s’expriment leur illégitimité. C’est refuser toute impunité. C’est placer chacun devant ses responsabilités.

Quelle démarche adopter pour la lutte contre les discriminations et les violences, principalement dans le domaine privé ?
La lutte contre les discriminations, contre les violences, contre toute forme de maltraitance est pour moi une priorité. Le contexte institutionnel sera renforcé par la création, annoncée par le Président de la République, d’une haute autorité chargée de lutter contre toutes les discriminations. Et nous étudions comment introduire dans notre droit positif l’incrimination de l’incitation aux discriminations tenant au sexe ou aux comportements sexuels.
S’agissant des violences publiques et privées exercées contre les femmes, outre la pleine application du droit et les nécessaires mesures de solidarité à l’égard des victimes, j’ai développé une politique favorisant la responsabilité individuelle et collective. Cela passe par le renforcement de la visibilité d’un phénomène dont l’ampleur et le caractère multiforme sont une réalité encore trop méconnue. Progresser, c’est prendre conscience. Cela passe aussi par la répression d’actes incompatibles avec notre conception d’une démocratie moderne, en phase avec son temps.
Il faut donner aux femmes les moyens de refuser toute maltraitance par des mesures adaptées, l’éloignement du conjoint violent, l’écoute, l’accompagnement de la réinsertion sociale et professionnelle. Il faut, avant tout, prévenir de tels faits par une éducation fondée sur le respect mutuel des sexes et l’affirmation de soi.
Toutes ces actions ne peuvent être menées à bien que dans le cadre de partenariats avec l’ensemble des acteurs institutionnels et associatifs et des professionnels concernés ainsi que les élus. Les partenariats institutionnels, d’abord. Les axes de travail retenus portent notamment sur l’accueil et l’écoute des victimes dans les commissariats et les gendarmeries ainsi que sur la formation de leurs personnels, sur l’amélioration du traitement judiciaire des situations de violences conjugales et l'information des victimes, sur la prise en compte des besoins en termes de logement des femmes en grande difficulté… Les partenariats associatifs, ensuite, avec les associations nationales et les permanences locales d’accueil, d’écoute et d’orientation, qui, au nombre de 290, sont réparties sur l’ensemble du territoire. Les partenariats avec les collectivités locales, aussi. Des partenariats de proximité ont ainsi été conclus entre l'État et des collectivités locales, afin d'expérimenter des actions de formation et de retour à l'emploi, basées sur des parcours individualisés, et de restaurer l'autonomie des femmes victimes de violences. Au niveau local, les commissions départementales d’action contre les violences faites aux femmes réunissent, sous la présidence des préfets de départements, l’ensemble de ces acteurs.

Vous présidez un groupe interministériel qui se penche sur les "femmes des quartiers". Quelles est sa position sur la question et son action ?
Dès le mois de juillet 2002, j’ai rencontré les responsables des principales associations qui interviennent auprès des femmes issues de l’immigration. J’ai, à plusieurs reprises, souligné les difficultés que connaissent les jeunes filles et femmes des quartiers, et notamment dans ma communication en Conseil des ministres sur les violences faites aux femmes, le 21 janvier 2003.
Après l’audience qu’il a, le 8 mars dernier, accordé aux participantes à la marche pour l’égalité, le Premier ministre m’a confié le soin d’organiser la concertation avec tous les acteurs institutionnels et associatifs concernés, de manière à répondre de la manière la plus appropriée aux préoccupations exprimées.
Le groupe de travail que j’anime a défini un plan d’action en cinq grands points:
- la lutte contre les violences spécifiques auxquelles sont exposées les jeunes filles et les femmes des cités, comme les mariages forcés, les mutilations sexuelles et la polygamie. Il est indispensable de mener une action de prévention, d’information et de sensibilisation, pour aider les jeunes filles et les femmes à assumer leurs choix de vie.
- la mise en place d'une réelle égalité des chances, favorisant la réussite sociale et professionnelle. Un programme d'accueil des femmes issues des quartiers défavorisés, porteuses de projets professionnels dans le domaine de l'entreprise, au sein de grands groupes, leur donnera ainsi une chance concrète de réussite et une reconnaissance de leurs talents.
- Le soutien à des actions spécifiques : la création d’un guide de l’éducation et du respect, l’organisation de séminaires de formation d’animateurs de quartiers, la réalisation d’une université des femmes, la mise en place de cellules spéciales dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie pour l’accueil des jeunes filles ou des femmes victimes de violences, l’hébergement d’urgence des filles ou des femmes menacées ou victimes de violences.
- l’intégration de ces mesures dans un programme plus large d’actions menées par les différents ministères en faveur des jeunes filles et des femmes des cités. Il convient en effet de renforcer l’interministérialité de la démarche, pour améliorer l’efficacité de la réponse globale.
- L’expérimentation, dans certains sites pilotes, d’une meilleure coordination des acteurs locaux sous l’autorité du maire.
- La valorisation des potentiels et des talents féminins dans les quartiers et les cités. Les femmes sont un formidable vecteur d’intégration. Les jeunes filles et les femmes des cités portent une aspiration à la citoyenneté qui ne doit pas être déçue.

Pensez-vous que la religion empêche l’émancipation des femmes et leur accession à l’égalité ?
Il ne faut confondre la religion avec le fanatisme religieux, la pratique de la religion musulmane, avec le fondamentalisme islamique, qui n'est qu'un courant minoritaire à l'intérieur de l'islam. La plupart des grandes religions mettent aujourd'hui l'accent sur la dignité de la personne humaine sans distinguer entre les femmes et les hommes. Considérée en elle-même, la religion n'a donc rien de contraire à l'égalité des sexes.

Faut-il en finir avec les différences entre les sexes ou les appartenances culturelles comme références sociales ?
Les différences entre les sexes et les appartenances culturelles sont des éléments dont il ne faut pas exagérer l'importance, mais dont on ne peut pas nier l'existence. On peut éventuellement les utiliser comme références sociales, mais elles ne doivent jamais servir à justifier un statut d'infériorité.

En quoi l’égalité professionnelle est-elle un enjeu de la démocratie sociale ? Une nouvelle politique dans ce domaine est-elle nécessaire ?
C’est un enjeu majeur d’une démocratie moderne et d’une économie développée. Car l’égalité est un facteur de croissance économique et de mieux être sociétal. La question de l’égalité professionnelle se trouve à la croisée des politiques menées en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Elle implique une démarche intégrée et globale, interministérielle et partenariale, pluriannuelle et au plus près des territoires. Elle concerne tout autant l’élargissement des choix professionnels des jeunes filles que la promotion de la mixité dans la fonction publique et l’entreprise, les éléments de détermination des salaires dans l’entreprise, le développement de carrière et la revalorisation de certains secteurs professionnels, l’articulation des temps de vie professionnelle, personnelle et familiale. Elle met en œuvre tous les acteurs, l’Union européenne, l’Etat, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, la société civile. C’est, de ce point de vue, un élément clé du dialogue social rénové et du dialogue civil revivifié. La démarche intégrée dont je vous faisais part, tout à l’heure, doit renouveler les relations entre tous les acteurs.

Dans quelles autres sphères fait-il œuvrer selon vous : associative, éducative, parentale… ?
Il faut agir dans toutes les sphères de la vie publique et privée des femmes et des hommes. Les quatre axes d’actions que j’ai énumérés interfèrent les uns sur les autres, à la fois dans l’équilibre de vie, mais également dans la construction de chaque individu, dans sa formation, dans la reconnaissance de ses compétences et de sa personne.