De Alima Boumediene Thiery, Députée européenne des Verts
Vice-présidente de la délégation européenne auprès du Conseil Législatif
Palestinien

L'heure est grave. Dans un mois, et après avoir fait la une des journaux, le
soutien au peuple palestinien risque de s'affaiblir au sein du Parlement
Européen. Oui il y a danger à ce que les voix solidaires avec cette juste
cause se retrouvent moins nombreuses et moins fortes. Pourtant, durant notre dernière mandature, de 1999 à 2005, nous étions
quelques députés à avoir fait de ce combat une de nos actions prioritaires
au Parlement Européen. Malgré toutes les difficultés rencontrées, les
pressions et menaces incessantes, nous avons réussi à imposer cette question
dans plusieurs de nos débats parlementaires.

Au lendemain de mon élection, en fin 1999, je me suis rendue dans les
territoires palestiniens. Je n'y étais pas retournée depuis mon engagement
dans la 1ère intifada (en 1987-88-89) bien que j'avais gardé des contacts
permanents avec nombre d'amiEs sur place. La situation s'était tellement
aggravée en 10 ans que j'ai eu honte, en tant qu'européenne, incapable de
trouver une réponse convaincante quant à la question : « Pourquoi l'Europe n
'intervenait pas ? ».

En effet, pourquoi ce 2 poids - 2 mesures face à l'apartheid subi par les
Palestiniens et les Arabes d'Israël, au regard de celui que l'on a combattu
en Afrique du Sud ?
Comment pouvions-nous parler de valeurs universelles et fermer les yeux
devant de telles violences ?
Pourquoi ne soutenions nous pas les démocrates israéliens qui, malgré les
désastreux attentats contre des civils israéliens qui braquaient leur peuple
contre la résistance palestinienne, continuaient à militer pour une paix
juste garantissant le droit à l'existence des deux peuples ?
Comment pouvions-nous maintenir nos relations économiques et commerciales
avec Israël au mépris des Droits Humains violés au quotidien quand il s'agit
des Palestiniens et des Arabes israéliens ?
Pourquoi cette fuite de nos responsables politiques ; de qui et de quoi
ont-ils peur ?
Et je ne pouvais pas répondre à ces questions !

Je suis repartie en me promettant de consacrer une grande partie de mon
mandat d'élue à la solidarité avec le peuple palestinien meurtri.
Mon objectif était à la fois d'oeuvrer pour que l'Union Européenne assume
ses responsabilités historiques et parallèlement sensibiliser l'opinion
publique européenne en vue de faire émerger une diplomatie citoyenne là où
notre diplomatie internationale est manifestement en échec !

Grâce à un travail commun de quelques parlementaires, en liaison avec les
militants palestiniens et israéliens sur le terrain, avec des militants de
famille maghrébine ou juive en Europe. nous avons mené avec succès quelques
batailles.

C'est ainsi que, le 30 octobre 2000, et pour la première fois, nous avons
convaincu la majorité du Parlement de voter des sanctions financières à l'
encontre de l'Etat d'Israël, le condamnant à payer la reconstruction de
toutes les infrastructures palestiniennes à Gaza et Ramallah, financées par
les fonds européens et que l'armée israélienne a sciemment détruit par ses
bombardements.

Le 04 décembre 2001, nous avons exigé de la Commission la poursuite du
soutien à l'Autorité Palestinienne et à ses institutions , contre la montée
en charge du gouvernement israélien qui l'accusait d'une utilisation des
ressources européennes pour financer les actions terroristes. Cette pression
a permis que le peuple palestinien puisse continuer à bénéficier de quelques
services minimums, et pourtant fondamentaux, comme l'école, le centre
médical pour des soins, .

Dans cette même recommandation, nous demandions à la Commission européenne
de contrôler et d'appliquer minutieusement toutes les clauses de l'accord d'
association conclu avec Israël. Rappelons notamment les clauses qui
concernent les règles d'origine appliquées même aux produits de la Palestine
occupée (et non seulement en Israël) et pourtant commercialisés, en toute
illégalité, soit sous l'étiquette « made in Israël », soit élargies aux
produits identités comme palestiniens, pour en tirer, illégalement, un
bénéfice en termes d'exonération des droits de douane sachant que le
bénéfice de ces taxes, prévus sur certains produits palestiniens aurait du
revenir à l'Autorité Palestinienne, mais Israël n'a jamais voulu le reverser
à celle-ci. Concernant l'enquête d'évaluation, la Commission européenne nous
a répondu qu'il lui était impossible d'évaluer le montant des droits
recouvrés et à recouvrir, puisque cette question étant de la compétence des
états membres qui n'ont pas fait parvenir l'information nécessaire à la
Commission.

Je me suis rendue en Palestine à plusieurs reprises, espérant servir avec d'
autres volontaires internationaux, ne serait-ce qu'un temps, de protection
minimum et pour m'enquérir sur place de la réalité endurée par les
palestiniens pour au moins en témoigner à notre retour. Nous avons pu
rejoindre Yasser Arafat et les internationaux lors du siège de la Moqqata à
Ramallah, lors des nombreux bombardements de Rafah, de Khan Younis ou de
Gaza, à Bethléhem sous couvre feu permanent pendant plus de 60 jours sans
interruption, pendant l'occupation de l'église de la Nativité, .

A quelques uns, nous fûmes, les premiers à être rentrés à Jenine et à
Naplouse après le massacre pour tenter de porter des secours.
Enfin, j'ai également exprimé, par ma présence pendant les audiences, au
Tribunal, toute ma solidarité à Marwan Baghouti, membre du Parlement
palestinien, arrêté illégalement et transféré dans les prisons israéliennes,
et j'ai dénoncé ces parodies de jugement.
Sans cesse, nous avons condamné le terrorisme de l'Etat israélien :
destructions de maisons, arrachages d'arbres et de cultures agricoles,
blocage de la distribution d'eau, déplacements de populations, punitions
collectives, etc.

Le 10 avril 2002, la plus importante résolution concernant cette question, a
été adoptée au Parlement Européen (par 269 voix pour ; 208 voix contre, 22
abstentions) et ce grâce à un amendement déposé par le groupe des Verts.
Personne n'y croyait, même l'AFP avait annoncé la veille que « la suspension
de l'accord d'association a peu de chance de figurer dans la résolution que
les députés doivent voter, du fait de l'opposition du groupe le plus
important (PPE) et bien que le groupe du PSE se soit prononcé pour,
plusieurs députés socialistes expriment leur opposition dont la délégation
des socialistes français ». Cette résolution demandait l'instauration d'un
embargo sur les livraisons d'armes, l'envoi d'une force internationale de
protection du peuple palestinien et la convocation d'urgence du Conseil d'
association afin de suspendre l'accord d'association israélo-européen en
raison du viol incessant des clauses démocratiques et des droits humains. La
réaction de l'ambassadeur d'Israël nous a prouvé combien notre pouvoir
politique existait, même si le Parlement Européen n'a pas la compétence
nécessaire pour geler cet accord.

A plusieurs reprises, notre groupe de députés européens Verts a réitéré l'
appui des résolutions des Nations Unies dont celles demandant le retrait de
l'armée israélienne des territoires palestiniens comme il a condamné le viol
du Droit International et humanitaire. Nous avons souvent souligné la
responsabilité spéciale des USA dans cette situation. Nous avons aussi
signifié au gouvernement israélien que M. Arafat, président démocratiquement
élu, devait pouvoir bénéficier de son entière liberté de circulation et
avons jugé inacceptable l'assignation à résidence dont il est de facto
toujours l'objet.

A quelques députés, nous nous sommes indignés avec fermeté lorsque Sharon s'
est permis d'interdire à Solana, représentant de l'UE, de rencontrer Yasser
Arafat à Ramallah.

En outre, nous avons organisé au sein du Parlement Européen des rencontres
où Israéliens, Arabes, Maghrébins, Musulmans et Juifs d'Europe (Une autre
voix), militants tous pour une paix juste, ont pu se rencontrer, dialoguer
et mener des initiatives communes. Ainsi nous avons soutenus toutes les
initiatives oeuvrant pour une paix juste.

Nous avons lancé au sein du Parlement une grande campagne de soutien aux
soldats israéliens « refuziks » qui ont refusé de servir dans les
territoires palestiniens au risque d'être condamnés. Nous avons aussi
soutenu et reçu les femmes et aux associations luttant en Israël contre l'
occupation et pour la fin des colonies, tout en menant des actions pour
protéger les palestiniens des exactions de l'armée israélienne.

Enfin, notre groupe d'eurodéputés Verts a demandé et obtenu que le prix
Sakharov soit attribué en même temps à Nurit Peled, écrivaine israélienne,
et à Izzat Ghazzawi, écrivain palestinien, frappés l'une et l'autre à
travers leurs enfants (elle à travers sa fille tuée par un attentat, lui à
travers son fils tué dans un bombardement), pour leur action commune contre
ce terrorisme qui touche les populations civiles.

Avec force et vigueur, nous sommes allés plaider dans toutes les instances
européennes et internationales de Valencia à Naples ou Athènes, en passant
par Genève, et les assemblées euro-méditerranéennes, le respect du Droit
International et l'application des résolutions des Nations Unies ainsi que
le respect des conventions européennes et du droit humanitaire.

Il est essentiel de rappeler que le rapport sur « Paix et Dignité au
Proche-Orient » adopté en octobre 2003, si critiqué et certainement
critiquable par certains aspects, a pourtant permis de réaffirmer la
nécessaire création d'un Etat Palestinien à l'intérieur des frontières de
1967 et a proposé Jérusalem comme double capitale d'Israël et de Palestine.
Il a demandé l'exécution de la « feuille de route » publiée par le Quartet
en avril 2003 comme il a exigé le retrait de l'armée israélienne d'
occupation des territoires palestiniens et l'évacuation totale par Israël
des implantations de colonies sur le territoire palestinien, et a réclamé la
fin des exécutions ciblées. Concernant la délicate question du droit au
retour des réfugiés, ce rapport a demandé « de pouvoir convenir entre les
parties d'une solution juste et équilibrée qui tienne compte du fait que
tous les réfugiés palestiniens ne pourront pas retourner vers leurs lieux d'
origine, comme l'a reconnu publiquement le président Arafat en février
2002,., et recommande donc que le droit au retour pour les réfugiés soit
limité à l'Etat palestinien, moyennant des exceptions librement négociées,
et que le Fonds International de Solidarité mette en ouvre un système
généreux et équitable d'indemnisation en faveur des réfugiés ne souhaitant
pas le retour ou ne pouvant l'effectuer du fait que leur lieu d'origine est
situé en dehors de l'Etat palestinien ». Enfin il a invité l'Autorité
Palestinienne de mettre en ouvre les réformes annoncées et d'organiser
rapidement des élections.

En outre, d'une part, il a renouvelé la demande d'une force internationale
de protection, d'interposition et d'observation décidée et organisée par le
Quartet et un renforcement de la présence internationale, sous l'égide des
Nations Unies. D'autre part, il a rappelé à la Commission et au Conseil, le
nécessaire respect de toutes les clauses de l'accord d'association avec
Israël et s'est déclaré en faveur de leur suspension immédiate avec la
partie qui les violerai ou qui refuserai les engagements prescrits par la
« feuille de route ».

Suite à l'adoption, le 08 décembre 2003, de la résolution des Nations Unies
demandant à la Cour Internationale de Justice de rendre un avis sur les
implications d'un « Mur de séparation » dans les Territoires palestiniens,
nous avons ouvré pour que notre Parlement adopte une résolution, en janvier
2004 avant le début de l'audition prévue en février 2004, pour condamner la
construction de ce Mur de la Honte, qui matérialise un peu plus encore l'
apartheid et pour exiger sa destruction immédiate. Cette résolution vient
renforcer la campagne contre le mur menée par la plateforme des ONG pour la
Palestine. Depuis, et dans chaque débat parlementaire sur la situation au
Moyen Orient (février, mars, avril, mai 2004), cette demande est sans cesse
renouvelée.

Plus récemment, le 1er avril 2004, lors de l'ultime débat parlementaire de
notre mandature, nous nous sommes mobilisés pour qu'une résolution soit
adoptée afin de condamner en particulier les exécutions «
extrajudiciaires », pour les déclarer illégales et contraires au Droit
International. Dans cette résolution, nous exigeons du Conseil Européen et
de la Commission de faire respecter pleinement l'article 2 des accords d'
association avec Israël s'il ne renonce pas à commettre d'autres exécutions
extrajudiciaires. Nous avons invité les Etats Membres de l'UE qui font
partie du Conseil de Sécurité des Nations Unies de déposer une proposition
de création d'une force internationale avec pour mandat de protéger les
populations.

Malheureusement, pour être honnête, je me dois de revenir sur une grave
défaite connue le 10 mars 2004, dont je regrette d'ailleurs que les ONG et
collectifs n'aient pas réagi plus pertinemment sur cette question.

Malgré un amendement déposé, par le groupe des députés Verts et soutenu par
le groupe de la GUE, nous n'avons pas réussi à rejeter le rapport demandant
l'approbation de notre Parlement sur le renouvellement de l'accord de
coopération scientifique et technique entre l'UE et Israël pour la période
2003-2006 et concernant le 6ème programme cadre de recherches. Pourtant
celui-ci contribue au développement de l'arsenal militaire israélien, à l'
aéronautique et aux biotechnologies.

Rappelons qu'en janvier 1990, le PE avait voté le gel partiel de la
coopération scientifique et technique suite à la fermeture des universités
et écoles palestiniennes, ce qui avait obligé les autorités israéliennes à
la réouverture des écoles et des universités.

Il est notoire que des « Universitaires pour la Paix », partout en Europe
comme en Israël, se mobilisent pour demander le gel de ces accords.
Et l'on sait également que l'occupation israélienne rend aujourd'hui
impossible l'activité d'enseignement supérieur et de recherche des
universités palestiniennes.

Oui, cette décision du Parlement Européen est une défaite pour ceux et
celles qui considèrent que la Science n'est pas au dessus du Droit et que
les échanges scientifiques ne peuvent pas nier le respect des droits
humains.

Alors à ceux et celles qui aujourd'hui pensent que la question palestinienne
n'est pas assez présente dans les débats du Parlement Européen ou qu'elle
est marginalisée, (en effet une telle question n'est jamais assez présente
quand on voit la violence qui existe !)
A ceux et celles qui considèrent « qu'elle reste dans les coulisses et qu'il
est nécessaire de la faire entrer par la grande porte » et surtout qu'elle
« ne soit pas oubliée au lendemain des élections » (ce qui est aussi le cas
malheureusement trop souvent, je vous l'accorde !)
A ceux et celles, qui néanmoins reconnaissent que « la liste n'arrivera pas
à changer les choses » mais qui disent aux élus européens « qu'ils n'
arrivent à rien et qu'il y en est assez de vos bavardages. ».

Permettez-moi, en toute amitié, de m'adresser à vous pour vous dire :
J'espère vous avoir rappelé par ce compte rendu d'une partie de mon travail
d'élue parlementaire européenne en ce domaine.

Une campagne électorale n'est pas, à mon sens, une tribune. L'élection est
un moyen démocratique pour que le peuple d'Europe puisse être représenté
dans toute sa diversité dans un espace où toutes les opinions pourront s'
exprimer et se faire entendre. Ainsi, l'assemblée devient une tribune riche
de divergences, à conditions que l'on ait donné à chacun le moyen d'être
représenté.

Ceux et celles qui, comme moi, adhèrent à la force du Droit, ont une vision
du Monde, un monde, où chacunE doit avoir sa place et son droit à une vie
digne, dans le respect des libertés démocratiques et des droits
fondamentaux.

Nous sommes conscients qu'il ne s'agit pas d'une guerre de religions, comme
on voudrait nous le faire croire. Nous savons faire la différence entre l'
occupant et l'occupé, l'agresseur et l'agressé, et le colonisateur et le colonisé.
Face à l'escalade de violences qui se poursuit aujourd'hui, il est urgent d'
agir pour protéger le peuple palestinien et d'ouvrer sans attendre, par la
force du droit et par la pression de l'opinions publique, pour en finir avec
l'occupation israélienne et ouvrir réellement la voie à une solution politique

soutenable fondée sur le Droit International.

L'un des moyens d'être efficace, notamment durant la campagne électorale
européenne, pour approcher cet objectif, c'est de faire inscrire la question
palestinienne, dans le programme de la totalité des forces politiques
françaises et européennes.

En tout état de cause, ce n'est sûrement pas en prenant le risque d'enfermer
cette juste cause dans une liste unique - qui n'espère même pas obtenir un
élu - et qui prend par là la responsabilité, en cas de l'obtention d'un très
faible score, de donner un argument idéologique aux adversaires de ce combat
qui en profiteraient pour nous jeter à la face : « voilà ce que vaut, auprès
de nos concitoyens, la cause de la Palestine que vous défendez ! ».

Encore une fois, faisons attention à ne pas affaiblir les forces qui
continuellement oeuvrent pour appuyer la lutte du peuple palestinien pour
ses droits. Reconnaissons et encourageons les militants et acteurs sincères
pour une paix juste et durable basée sur le respect du droit international
au Proche et Moyen-Orient.

En ce qui me concerne, je n'ai jamais oublié la juste cause du peuple
palestinien ; elle est omniprésente dans mon combat depuis 1977, quand elle
a suscité mon engagement dans la vie politique et associative et, déjà, mon
engagement dans les territoires palestiniens au moment de la première
intifada. Ai-je encore besoin de dire qu'il y a de nombreux témoins de mes
nombreuses interventions dans ce sens auprès des autorités israéliennes et
de l'Autorité palestinienne ?

Il me semble important de rappeler que mon action, en tant que députée
européenne des Verts, a toujours été suivie d'initiatives publiques :
enquêtes sur le terrain, visites en Israël et en Palestine, rencontres,
débats, manifestations, communiqués. J'ai du régulièrement rendre compte de
mon action parlementaire en lien étroit avec les collectifs et associations
de solidarité avec les Palestiniens et les Israéliens pour une paix juste.

Avec mes amis élus et militants Verts, c'est un combat pour la justice et le
droit que nous avons porté sans relâche et avec détermination, même en ayant
été peu nombreux.

Comme parlementaires, nous avons pris en compte cette question dans tous nos
débats parlementaires. Malheureusement, nous sommes encore trop peu nombreux
pour gagner toutes les batailles que nous menons. Raison de plus, pour vous
inviter à nous renforcer !

Alima Boumediene-Thiery
députée européenne des Verts