La communauté irakienne de France, forte de deux à trois mille personnes, affiche un fatalisme certain à l’idée d’une guerre en Irak. Angoissée, révoltée aussi bien à l'encontre de Saddam Hussein que de George W.Bush, elle s'est cependant résignée à subir la loi du plus fort.

Je suis totalement désemparée. Toute ma famille est à Bagdad. Mes frères, mes sœurs, mon père, ma mère sont restés là-bas. Ils ont eu l’occasion de quitter le pays. Mais ils ne l’ont pas fait. Je culpabilise d’être là en sécurité, alors qu’eux vont sans doute revivre une autre guerre." Raja, étudiante irakienne à Paris depuis trois ans, ne cache ni son angoisse, ni ses larmes à l’évocation d’une attaque en règle de l’Irak par les Etats-Unis. Elle affirme ne rien comprendre à la politique et ne veut même pas s’y intéresser. Ce qui la préoccupe, c’est sa famille, sa maison à Bagdad. "Les civils n’ont pas à payer dans ce genre de règlements de compte. Je hais autant Saddam Hussein que George W. Bush. Ce sont tous les deux des charognards ; des opportunistes qui ne cherchent que leur propre intérêt. Mais ce qui m’offusque le plus, c’est la prétention des Américains à vouloir soi-disant débarrasser le peuple irakien de Saddam. De quoi se mêlent-ils ?". Raja n’est pas la seule à se révolter contre ce qu’elle appelle "cette prétention et suprématie américaines".
A l’unanimité, toutes les personnes interrogées, quels que soient leur âge ou leur degré d’implication dans la politique, affichent un fatalisme certain par rapport à cette guerre. Kais Jawad, libraire mais aussi rédacteur en chef d’Etudes orientales basé à Paris depuis 1983, ne redoute pas la guerre. Pour lui, elle est inévitable : "Il faut arrêter cette mascarade. C’est une totale hypocrisie, que de croire que les Etats-Unis attendent les résultats des inspections de l’ONU. Tout cela n’est que prétexte et tout le monde le sait. Les soldats sont sur place. D’ici quelque temps, ils lanceront leurs troupes et balanceront leurs armes sur les Irakiens. C’est eux qui vont payer. Et ce n’est pas pour soi disant renverser le pouvoir irakien et installer un nouveau régime qu’ils vont faire cette guerre. Leur véritable intérêt, c’est le pétrole et rien d’autre." Les propos de Kais Jawad sont tout autant virulents concernant Saddam Hussein. Opposant au régime et fervent militant d'une démocratie irakienne, "Saddam Hussein est, d'après lui, un dictateur qui, depuis sa prise de pouvoir, a mené à la mort plus d’un million d’irakiens et a conduit tout un peuple à vivre dans la misère et la répression. Pendant ce temps là, lui continue de fumer des cigares à 50$ et à construire des châteaux un peu partout. Il ne vit pas l’embargo, lui".

Les Irakiens n’ont pas le choix

Kais Jawad et beaucoup d’autres militent à distance par des ouvrages et des écrits, en menant des actions au sein du Forum Irakien et en alertant la conscience internationale entre autres. Mais rien n’y fait. Ce sont encore les Américains qui vont jouer la partie. Justement, Jawad Bishara, membre du Forum Irakien, journaliste, écrivain et cinéaste de son état, condamné à mort en Irak pour avoir affiché son opposition à Saddam, est totalement révolté. Il ne comprend pas l’attitude de la communauté internationale. "C’est aberrant de constater l’incapacité des pays arabes et occidentaux à faire jouer la Charte des Droits de l’Homme. Comment ont-ils pu laisser cet homme décimer les Kurdes, réprimer tout un peuple, et j’en passe, sans qu’aucun de ces pays ne lève le petit doigt ? On y revient encore. C’est une histoire d’intérêt économique et stratégique. Mais en réalité, c’est aux Irakiens de se prendre en mains et de faire en sorte que leur pays devienne une démocratie. Toute ma famille est là-bas, ils n’en peuvent plus. Ils sont angoissés à l’idée de revivre une guerre, mais c’est aussi une source d’espoir, car ils n’ont plus rien à perdre et peu de choix possibles : Saddam ou la guerre."