Kjell Aleklett est président de l'ASPO (Association for the Study of Peak Oil & Gas), un réseau de scientifiques qui entend démontrer que la production de pétrole est sur le point d'amorcer son déclin, avec à la clé de graves conséquences politiques et économiques. Professeur de physique à l'Université d'Uppsala (Suède), M. Aleklett souligne qu'il est "libre de sa parole", contrairement à nombre de personnes dans cette industrie.

QUESTION: La récente guerre du gaz entre la Russie et ses voisins a-t-elle changé de manière décisive l'approche politique du problème énergétique en Europe ?



REPONSE: Cela a ouvert les yeux de pas mal d'hommes politiques. On l'entend, les gens sont plus inquiets. Il est clair que la Russie a été un bon fournisseur de gaz et je pense qu'elle le sera à l'avenir aussi, mais cela prouve notre vulnérabilité: si vous empruntez de l'argent, vous n'êtes pas libre. Pour l'énergie, c'est un peu la même chose.

Vos thèses gagnent-elles des partisans ? Beaucoup d'analystes pétroliers, de même que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) continuent de dire qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter avant longtemps pour les réserves de pétrole.

Il faut voir au nom de qui ils parlent. Le problème des compagnies pétrolières est qu'à la fin de l'année, elles doivent démontrer à leurs actionnaires qu'elles sont en mesure de remplacer ce qu'elles ont produit.

b[b[b[b[Donc elles seront dans le déni tant qu'elles le pourront.]b]b]b]b
Quant à l'AIE, ce n'est pas une organisation internationale, c'est un club de pays de l'OCDE. Elle parle au nom des 26 pays les plus riches du monde, qui bien sûr veulent une forte production, car ils pensent que de cette façon le coût des importations baissera. Mais appeler comme ils le font le Moyen Orient à doubler sa production, c'est impossible.

A l'échelle mondiale, il y a 45.000 champs de pétrole, dont 100 fournissent plus de la moitié de la production. Ces 100 champs sont vieux, on ne peut pas augmenter leur production.

Vous n'êtes pas d'avis que les pétroles non conventionnels, présents en énormes quantités au Canada et au Venezuela peuvent prendre le relais du pétrole "normal" ?

Pour les schistes bitumineux du Canada par exemple, il faut injecter 3 barils de vapeur d'eau pour extraire un baril de pétrole. Il faut donc beaucoup de gaz naturel pour cela, or la production de gaz du Canada est en déclin.

Donc on en revient au même problème.

Nous gravissons actuellement la montagne du pétrole et nous sommes à présent au sommet. Nous pourrons progresser pendant peut-être encore deux ans, mais cela veut dire que redescendre sera encore plus dur car la pente sera plus raide. La meilleure chose à faire ne serait donc pas d'accroître la production mais de s'accommoder du fait que nous n'aurons pas plus de pétrole et de changer l'usage qu'on en fait.


Source AFP 11/04/06