Du huitième au quinzième siècle, al-Andalus fut le foyer de la culture musulmane en Europe et un haut-lieu d’échange entre les trois monothéismes. Deux sites emblématiques, la grande mosquée de Cordoue et le palais de l’Alhambra à Grenade, signent l’apogée de cette brillante civilisation.

La grande mosquée de Cordoue - Quintessence d’un lieu et d’une histoire.
La grande mosquée de Cordoue est souvent considérée comme le symbole de la civilisation andalouse à l’apogée de son épanouissement. La princesse saxonne Hroswitha, poétesse et religieuse du dixième siècle, décrivait cette capitale de l’islam comme « l’ornement du monde ». Ville de plus d’un million d’habitants, sa mosquée était la plus grande d’Europe.
Fondée vers la fin du huitième siècle par Abd ar-Rahman 1er sur le site d’une cathédrale wisigoth, la mosquée comprenait à la fois des vestiges de colonnes romaines et des mosaïques de style byzantin. Son aménagement et ses extensions étaient planifiés sans division entre l’espace de prière et celui de l’étude, ni de hiérarchie des fidèles devant Dieu. Le décor, avec une forêt de plus de huit cent piliers dotés d’arches en doubles arcs aux larges rayures blanches et ocres, représente la synthèse des cultures européennes et orientales de l’Andalousie. Les commerçants des 80.000 boutiques et ateliers des marchés avoisinant venaient y accomplir les cinq prières quotidiennes. Mais la mosquée était aussi le lieu d’un enseignement ouvert, un centre juridique, un endroit de rencontre et d’échange. Elle était le cœur de la cité et les voyageurs pouvaient y faire étape plusieurs jours.
A cette époque, Cordoue était une des villes les plus paisibles, prospères et pluralistes d’Europe, avec laquelle seule Constantinople pouvait rivaliser. Une de ses bibliothèques comptait 400.000 livres et on y utilisait déjà couramment le papier. Ses fils les plus illustres étaient Mohammad ibn Rushd, dit Averroès, juge et philosophe musulman qui travailla à une conciliation entre la pensé grecque et musulmane, et Moshé ben Maymun, dit Maimonide, médecin et mathématicien juif qui chercha également à démontrer un accord possible entre foi et raison. Sous les gouvernements omeyyades la loi protégeait les ‘peuples du Livre’ - ahl al-kitab - juifs et chrétiens.
Aujourd’hui, la mosquée est dominée par une cathédrale érigée en son centre après la prise de Cordoue par les catholiques en 1236. Mais les palmiers et les orangers de la grande cour rappellent les douceurs du Maghreb et de l’Orient. Son magnifique mihrab concentre toujours les énergies de l’histoire cruciale que fut al-Andalus.

Al-Andalus, joyau de l’islam en Europe.
Le palais de l’Alhambra à Grenade - al-firdaws al-mafqud, le paradis perdu.
Durant plus de sept siècles, les savants andalous de Cordoue, Grenade, Jaén ou Saragosse, ont fait progresser entre autres la médecine, les mathématiques, l’agronomie, la musique, l’astronomie et la navigation, posant ainsi les premiers jalons de la Renaissance européenne. Dès le huitième siècle, Grenade était un centre scientifique et artistique sophistiqué. Peuplée par 150.000 habitants, ses écoles, ses hôpitaux, ses bains publics pourvus d’un ingénieux système de canalisations souterraines, en faisaient une des villes les plus prisées de la région.
Grenade fut l’ultime bastion de l’Islam d’Europe occidentale. Le sultan Ibn Ahmar, ayant appuyé la reconquista des Rois Catholiques et participé à la chute de Séville, put en effet y maintenir un état vassal de la Castille. Mais le dernier sultan, Abu ‘Abd Allah (Boabdil), ne pouvant résister à l’assaut des armées catholiques, s’exila avec sa famille à Fès en 1492. Le lieu-dit El Suspiro del Moro - le Soupir du Maure -, à la périphérie de Grenade, rappelle que Boabdil se retourna pour pleurer la ville perdue. Et sa mère de l’accabler: « Pourquoi pleures-tu comme une femme pour ce que tu ne sus défendre comme un homme ».
En dépit de son histoire dramatique, la beauté exquise de son célèbre palais fortifié de l’Alhambra - de l’arabe al-hamra, ‘le rouge’ - est une merveille des arts andalous: motifs géométriques évitant toutes formes figuratives pour mieux exprimer l’idée d’Infini; mode architectural basé sur la règle d’or en harmonie avec la nature à l’entour; longs jardins et bassins du Generalife délicieusement rafraîchissants; fontaines murmurantes au seuil de cours privées; escaliers dérobés et salons intimes avec balcons panoramiques donnant sur les contreforts de la Sierra Nevada. « Ceux qui auront cru et accompli de bonnes œuvres, nous leurs assignerons dans le Jardin pour l’éternité des demeures élevées sous lesquelles coulent des ruisseaux » (XXIX:58); c’est le Coran en calligraphie d’époque gravé sur les murs de pierre qui sanctifie ce haut-lieu de l’histoire andalouse, par delà l’abandon des sultans.