Avec l'accord de L'institut Aspen* nous publions ici la première partie de la synthèse des travaux relatives à la conférence internationale sur les relations transatlantiques :
Europe-Etats-Unis : les nouveaux défis transatlantique tenue à Lyon les 29-31 Janvier
2004. Nous publierons la suite la semaine prochaine. La notion d’Occident est ancienne. Montesquieu évoquait déjà l’Occident dans les Lettres Persanes, en référence à la perception du « Persan » : c’est donc d’abord dans la différence que s’est perçu l’Occident.

Quelles sont les valeurs constitutives de l’Occident et comment ont–elles évolué ? Existe-t-il des valeurs communes stables? L’Occident relève-t-il d’une civilisation européenne et atlantique ? Est-il politique, civisationnel, culturel, religieux ? Les définitions sont multiples, leurs effets et évolutions également. Il convient aussi désormais de s’interroger sur sa pérennité : la notion d’Occident est entrée avec la disparition de l’URSS dans la crise que nous connaissons. Les solidarités persisteront-elles, ou les divergences d’intérêts détruiront-elles les liens que l’histoire a tissés ?

La notion d’Occident


Cette première session a en premier lieu permis aux participants de débattre de la notion même d’Occident. L’un d’entre eux constate d’emblée que la définition n’est pas la même selon les dictionnaires, certains d’entre eux opposant l’Occident euro-américain à l’Asie et au monde arabe, d’autres le définissant d’une manière plus géopolitique comme rassemblant les membres de l’Otan, ou par opposition avec l’ancienne zone communiste.

Sur le plan politique, un autre participant estime que la notion d’Occident a toujours été un peu contestable. Ainsi le Japon est-il inclus dans l’Occident depuis 1945. Néanmoins et pour cause de Guerre Froide, en dépit des nuances et des neutralités de certains pays, le concept politique était clair et compréhensible. Depuis la fin de celle-ci, le concept d’Occident est cependant plus complexe et difficile à saisir.

La démocratie ne peut seule caractériser les pays occidentaux puisque des Etats non-occidentaux sont devenus démocratiques. Définir l’Occident par des valeurs culturelles et/ou ethniques revient par ailleurs à opposer l’Occident au reste du monde.
L’Ouest ne peut en outre plus être défini par la seule Alliance Atlantique, alliance dont on se demande aujourd’hui - quelle que soit sa forme - si elle est encore nécessaire. Les Etats-Unis parlent désormais de coalition, pour des occasions particulières, alors que l’Alliance était une structure permanente. Toutefois, au delà de leurs divergences, « les Etats de l’Alliance restent plus proches entre eux qu’ils ne le sont avec le reste du monde, assez proches pour que l’on ressente dans la conscience collective que ces pays appartiennent à quelque chose de commun qui les rapproche sur des valeurs et une civilisation ».

Un participant américain a pour sa part insisté sur des principes tels que la défense de l’individu contre l’Etat : l’existence de valeurs universelles garanties par le droit (cf. l’importance des jurisprudences de la Cour Suprême des Etats-Unis et de la Cour de Justice des Communautés Européennes) ; le respect de la vie privée ; l’égalité de tous devant la loi (aussi bien les individus que les entreprises) ; le fait que l’Etat est « accountable » et doit rendre compte à ses citoyens ; les libertés de pensée et d’expression ; la protection des droits des minorités ; l’asile politique aux victimes de répression ; la réglementation transparente de l’économie (investissement privé) ; le refus des pratiques anti-concurrentielles ; la protection de la propriété intellectuelle et enfin les responsabilités mondiales (institutions internationales, lutte contre le Sida, protection internationale des droits de l’homme), cette liste n’étant pas exclusive.

Un autre participant évoque la notion de liberté, dont la traduction théologique est que l’homme a une relation autonome avec son Dieu. La rationalité est aussi un élément déterminant : l’homme est capable de comprendre le monde, et donc de l’exprimer. Elle touche les domaines politique et économique mais aussi culturel.
Par ailleurs, les sources gréco-romaines d’un côté et judéo-chrétiennes de l’autre ont fondé la civilisation occidentale et sont à l’origine de la Renaissance, de l’ère des Lumières, des Droits de l’Homme, de la démocratie et il convient d’admettre que ces racines ne sont pas partagées par tout le monde.

L’Occident a ainsi plusieurs sens : un sens civisationnel très ancien, résultat d’une lente sédimentation culturelle, et doublé d’une dimension géographique. Il comprend l’Amérique et l’Europe - ce que le Président américain George Bush entend probablement par l’expression « le monde civilisé » - et se définit quoi qu’il en soit par rapport à d’autres peuples et d’autres régions du monde.
Un sens politique également : l’acceptation politique la plus fréquente comprend dans l’Occident les pays de l’Otan et l’Alliance Atlantique, ainsi que le Japon, dans une alliance asiatique lors de la guerre froide.

La notion a des ambiguïtés et des contradictions. Elle n’est en outre pas figée et a évolué dans le temps. On assiste actuellement à une interrogation sur la pérennité de la notion d’Occident depuis la chute du Mur de Berlin, se demandant légitimement si les solidarités héritées de cette période vont demeurer. La crise irakienne a accentué cette interrogation, suscitant des questions plus fondamentales sur les divergences des valeurs et des intérêts occidentaux qui fragiliseraient voire détruiraient ce concept.

Une communauté de valeurs et d’intérêts


L’évolution de l’Occident depuis la fin de la guerre froide conduit aujourd’hui à plusieurs questions et réflexions sur les valeurs et intérêts qui unissent ou divisent les membres de l’Alliance Atlantique. De manière globale, les participants conviennent que les valeurs et intérêts restent compatibles et convergents. Ils ne sont finalement ni plus ni moins éloignés qu’ils ne l’ont été par le passé.

Cette réelle communauté de valeurs et d’intérêts est cependant remise en cause par deux thèses s’opposant à cette idée.
La première voudrait que les relations entre l’Europe et les Etats-Unis à propos de la force et de l’emploi de la violence dans la vie internationale soient fondamentalement divergentes et dissymétriques (l’Europe représentant le « féminin », et le « pacifique », alors que les Etats-Unis incarnent la « virilité », et « l’agression »). Cette conception renvoie à des stéréotypes assez traditionnels qui pour beaucoup ne reposent sur rien de tangible.

D’après la seconde, la pratique religieuse éloignerait une Amérique de plus en plus croyante et pratiquante d’une Europe sécularisée voire incroyante. Là aussi ces stéréotypes apparaissent ni plus ni moins vrais que par le passé, depuis l’époque où Tocqueville s’étonnait déjà de la religiosité américaine. L’Europe est certes plus modérée dans ses pratiques religieuses mais cela ne remet pas en cause la convergence de nos valeurs.

Un participant européen rappelle que les divisions sur nos valeurs sont plus complexes qu’il n’y paraît et en tout cas souvent contredites par l’opinion publique au travers des sondages.
Ainsi, une question aussi délicate que la peine de mort crée plus de convergences qu’on ne l’imagine : beaucoup d’Etats américains n’appliquent pas la peine capitale, alors qu’en Europe les sondages montrent qu’un nombre non négligeable de citoyens se prononceraient en faveur de la peine de mort pour certains crimes.
On peut faire le même constat sur la question du rôle de la justice, de la place de la religion ou du rapport entre l’Etat et la société. Même sur la récente question irakienne l’Europe n’était pas si divisée, alors que tous les Américains ne sont pas d’accord avec le Président Bush.

Les valeurs font ainsi l’objet de convergences fondamentales des Américains et Européens, aussi bien sur de grands sujets de société que sur les relations internationales, l’état souhaitable du monde ou le recours aux Nations-unies. Nos politiques sont ancrées dans des attitudes et valeurs similaires et compatibles.

De même nos intérêts ne seraient ni plus ni moins divergents qu’auparavant. Les nouveaux périls - terrorisme, criminalité, armes de destruction massive, menaces non étatiques, croissance de la criminalité organisée, inquiétudes suscitées par les zones de non-droit - provoquent les mêmes inquiétudes et appellent les mêmes attitudes. Les doctrines stratégiques de sécurité publiées par les Etats-Unis (septembre 2002) et l’Union européenne (décembre 2003) témoignent d’ailleurs d’une identification similaire des menaces et d’une aspiration à peu près semblable de l’ordre du monde.
Les divergences d’intérêts existent : la construction européenne et l’idée que l’on s’en fait de part et d’autre de l’Atlantique, le degré d’autonomie souhaité par les Européens et accepté par les Américains. De même les questions monétaires (parité euro-dollar), la politique industrielle (aéronautique), le niveau d’interventionnisme dans les mécanismes de marché, le commerce international (OMC) et la délocalisation des emplois, le contrôle des trusts, la sécurité, le Moyen-Orient, l’aide au Tiers-Monde, etc. Rien ne paraît nouveau ni irrémédiable : la communauté de valeurs et d’intérêts demeure. Pourtant, à l’inverse des décennies précédentes au cours desquelles l’ennemi commun avait obscurci les divergences, elle est maintenant dépourvue de traductions institutionnelles ou stratégiques.

La remise en cause de l’Occident comme alliance structurelle


L’effondrement de l’Union soviétique a sensiblement modifié la vision américaine du monde. L’Europe stabilisée et pacifiée n’est plus au cœur des priorités et préoccupations de sécurité des Etats-Unis, dont la principale ligne de défense ne passe plus au centre de l’Europe.

L’entente sur les fondamentaux au sein de l’Alliance était impérative, ce qui donnait un levier et une capacité d’influence exceptionnelle aux Européens. L’Alliance était symétrique, non pas parce que les Alliés avaient la même puissance et influence mais parce que les Etats-Unis ne pouvaient, sur l’essentiel, se passer de l’accord et de la participation des Européens, et réciproquement. Cette entente obligée créait non seulement l’apparence mais aussi la réalité politique d’une alliance égale, équilibrée et nécessaire.
Or, « nous sommes aujourd’hui dans une alliance de choix, où l’accord est devenu optionnel. Les Etats-Unis ont ou pensent avoir le choix d’agir sur les grands problèmes de sécurité du monde avec ou sans les Européens, ce qui change fondamentalement les données politiques et psychologiques de l’Alliance ». Ce changement n’a donc rien à voir avec des valeurs et intérêts divergents : il émane de la structure des relations entre les Alliés.

Cette évolution n’a été que lentement perceptible. L’agenda inachevé de la guerre froide, la stabilisation de la Russie et les conflits balkaniques ont laissé dans les années 90 un ordre du jour transatlantique chargé. Le 11 septembre 2001 a toutefois ouvert une nouvelle ère : les problèmes internationaux sont désormais dans une très grande majorité extérieurs à l’Europe, sujets sur lesquels l’Alliance Atlantique - de par sa vocation - n’est plus qu’une structure optionnelle, ce qui constitue une rupture majeure de l’ordre international.

L’appréhension et la recherche par les Alliés de leur autonomie respective s’est dès lors modifiée. Les Européens revendiquent une autonomie et la volonté d’avoir des capacités autonomes d’agir dans le domaine militaire, revendication compréhensible dans un contexte ou les Etats-Unis ne sont plus au cœur du règlement des affaires européennes. Bien qu’elle soit moins abordée, la recherche d’autonomie est aussi américaine. La guerre froide avait laissé des structures, des disciplines et des contraintes – désarmement, obligation de consultation, d’entente, etc – dont les Etats-Unis se sont aujourd’hui affranchis.

Un participant français remarque que « ce n’est pas un projet machiavélique. Les Etats-Unis ne sont pas frappés par une maladie appelée unilatéralisme. Ils ont simplement retiré de la nouvelle situation stratégique la conviction qu’ils devaient agir au mieux de leurs intérêts et se défaire d’un certain nombre de contraintes lorsqu’elles entravent leur action internationale ».

L’Alliance est désormais structurellement différente : alliance de choix, avec plus d’autonomie de part et d’autre et moins de grands défis de sécurité susceptibles de réunir les Alliés de manière structurelle et quotidienne, dans un obligation mutuelle d’entente. « Il y a toujours une communauté d’intérêts au niveau des grands défis mondiaux de sécurité (non-prolifération, croissance de la Chine, Etats faillis, etc). Toutefois nous n’avons pas trouvé – ou pas cherché – les moyens d’opérationnaliser cette convergence d’intérêts dans un ordre du jour aussi clair, précis et agréé que pouvait l’être celui de la guerre froide ».

Le seul thème de la non-prolifération est révélateur. Il ne peut désormais être traité qu’à géométrie variable. La Corée du Nord et la Libye sont une préoccupation américaine, alors que l’Iran fait l’objet d’une initiative anglo-germano-française, avec le soutien des Etats-Unis. Les quatre dernières décennies ont laissé des habitudes et des loyautés importantes, un travail et un réseau communs mais la gestion des affaires internationales est maintenant variable, à la carte.

Une alliance optionnelle face à l’élargissement des solidarités


La solidarité civisationnelle et culturelle occidentale est aujourd’hui en concurrence avec des solidarités plus larges, qu’elle doit intégrer et qui la rendent encore plus difficile à cerner.

La première d’entre elles concerne la démocratie. Occident et démocratie ne se recoupent plus, même si l’Europe et les Etats-Unis partagent les mêmes défis d’approfondissement démocratique et les évolutions qui leur imposent de renouveler leur conception de la démocratie.

Cette compréhension et application de la démocratie a été longuement abordée par les participants. Les différences entre l’Europe et les Etats-Unis reposent notamment sur des conceptions distinctes. Les Américains ont en effet tendance à penser que l’on peut créer la démocratie ex-nihilo. Ayant construit leur pays, ils ont le sentiment que cette expérience est transposable et peut être reconduite avec la démocratie, même dans une société très variée. Les Européens considèrent pour leur part que la communauté précède la démocratie et qu’elle est une condition pour l’établissement de celle-ci. D’où leur scepticisme que l’on puisse par la politique extérieure élargir le nombre de démocraties.
Un participant français rappelle en outre le parcours historique respectif de ces nations. La France - et dans l’ensemble les Etats européens - ont mis 7 siècles pour bâtir un Etat-Nation, et au moins un autre pour bâtir une démocratie. Les deux ne sont toutefois pas allés de pair, alors que ce fut le cas aux Etats-Unis : les Américains ont édifié dans le même temps un Etat et une démocratie lors de l’Indépendance.

On conçoit dès lors la croyance américaine dans les vertus magiques de la démocratie. Ainsi dans les Balkans, l’amélioration de la situation au Kosovo devait ouvrir une ère de multi-ethnicité, de stabilité et de paix - ce qui ne fut pas le cas. Plus récemment dans le cas de l’Irak, la chute de Saddam Hussein semblait suffisante pour les Américains, la démocratie étant la valeur suprême. L’important était l’expression de la liberté et de la démocratie. Les soldats ne sont ainsi pas intervenus contre les pillages, la destruction de l’Etat et de l’ordre public, au maintien duquel les Irakiens étaient très attachés. Les Etats-Unis ont reconnu plus tard cette erreur, commise cependant sans malignité.

Quoi qu’il en soit, le cercle des démocraties est aujourd’hui beaucoup plus large. La densité des intérêts communs et l’ancienneté des solidarités est encore beaucoup plus forte dans le cadre occidental mais ce réservoir de nouvelle démocraties, sans être un substitut à l’Occident, donne la possibilité de chercher de nouveaux partenaires.
La communauté occidentale est dès lors en concurrence avec d’autres communautés, ce qui conduit les Etats-Unis vers ces coalitions ad hoc, dictées par la mission. La coalition en Afghanistan était ainsi moins occidentale que centrée sur les pivots pakistanais et russe.

Ces concurrences vont aller en augmentant. « Il serait très étonnant que les deux communautés désignées sous le nom d’Occident – communauté civisationelle et communauté politique atlantique – se retrouvent à nouveau unifiées dans un même combat qui s’imposerait et reconstituerait une alliance de nécessité comparable à celle de la guerre froide ». La guerre contre le terrorisme présente bien sûr un certain nombre d’éléments en ce sens. Mais « elle représente surtout un combat politique et sécuritaire contre le fondamentalisme islamique, et la définition d’une stratégie occidentale unifiée face à ce péril paraît peu plausible ».

Un participant souligne à ce sujet qu’il faudrait que les choses évoluent particulièrement mal pour que la polarisation entre l’Occident et le monde arabo-musulman soit telle que l’on puisse parler d’un conflit civisationnel.

En tout état de cause, ce combat contre le terrorisme ne constitue pas aujourd’hui une nouvelle guerre susceptible d’allier de manière structurelle les membres de la communauté atlantique, comme avait pu le faire la menace soviétique. « Peut-être dans une génération la menace chinoise pourrait–elle remplir cette fonction, mais nous sommes encore loin d’une nouvelle guerre froide autour de la Chine ».

Repenser l’Alliance


Les Alliés vont donc devoir apprendre à vivre avec « une Alliance moins dense, moins solidaire, beaucoup plus à la carte et intermittente, faite de hauts et de bas, ou il faudra accepter de ne pas systématiquement s’entendre, d’agir ensemble parfois, séparément d’autres fois ».

Cette idée d’une alliance optionnelle est débattue notamment par un participant américain selon lequel ces discussions sur la nécessité de l’Alliance sont en grande partie liées à nos divergences sur la guerre contre le terrorisme, dont il n’est pas certain qu’elle soit dans ses effets si différente de la guerre froide. « Il existe aux Etats-Unis une vision valable selon laquelle cette guerre contre le terrorisme à portée globale menace de créer une nouvelle normalité sécuritaire qui demande une action commune ».
L’Alliance reste alors nécessaire pour les Etats-Unis car cette guerre ne peut être menée seulement par eux avec des alliés provisoires. Elle resterait également essentielle pour les Européens car il n’y aurait en son absence aucune entrave à une certaine tentation impériale des Etats-Unis, qui les mènerait de manière générale à agir seuls ou avec des alliés temporaires, en fonction des besoins du monde.
La disparition de l’Alliance ou sa marginalisation nous laisseraient de part et d’autre de l’Atlantique davantage isolés, à un moment ou les questions de sécurité sont particulièrement urgentes.

A cet égard, un participant européen relève au début de l’année 2004 une « légère redécouverte » par les Américains de la valeur d’une alliance. Il cite Robert Kagan qui écrit à la fin du mois de janvier « peut-être les Etats-Unis devraient-ils offrir à leurs alliés de l’Otan un degré d’influence sur la politique américaine ». Il est toutefois certain qu’ils exigeraient quelque chose en retour, notamment une plus grande « capacité » européenne.
Un autre participant suggère d’ailleurs que « face aux attaques des néo-conservateurs, les Européens gardent la tête froide, fassent le gros dos et attendent que cela passe. Croire que les Etats-Unis veulent détruire le multilatéralisme est excessif et pas raisonnable. Ce mouvement récent ne représente pas réellement l’Amérique ».

L’Alliance reste ainsi une organisation effective, au sein de laquelle la possibilité pour les Etats-Unis d’agir unilatéralement reste envisageable - principalement sur le plan militaire - quand il devient évident que la contribution européenne ne serait pas si significative.

Un participant américain revient alors sur l’idée d’une division du travail entre Européens et Américains, division indispensable tellement les capacités militaires sont inégales. Les Européens régleraient ainsi les opérations de stabilité autour de l’Europe tandis que les Américains prendraient en charge les conflits plus graves, hors du centre de gravité européen. Il juge pourtant cette division particulièrement négative, autant pour les Américains qui ont besoin d’alliés, que pour les Européens qui seraient encore plus dépendants des Etats-Unis et dont l’influence ne cesserait de décroître. Une telle division serait surtout politiquement intenable pour les Américains à qui reviendraient les opérations les plus risquées. Il est donc préférable de maintenir un partenariat et gérer ensemble les challenges communs.

Dans une alliance plus politique, la participation de l’Europe peut néanmoins être réelle et efficace (cf. le dossier iranien). De même les Etats-Unis ne peuvent-ils gagner la paix seuls. L’Europe doit ainsi renforcer ses processus de décision, sa politique étrangère et de défense et une plus grande capacité à agir, afin d’accroître sa visibilité et crédibilité. Elle pourra alors apporter une vraie contribution à la revitalisation d’une alliance plus équilibrée.

Le caractère optionnel de l’Alliance suscite des réflexions supplémentaires. Comment gérer des relations lorsqu'a disparu le besoin d’une entente permanente sur les grands enjeux stratégiques, ou du moins lorsque ce besoin se situe à un niveau de généralité et d’abstraction tel que l’on ne parvient plus à l’opérationnaliser ?

Les Etats occidentaux semblent pour l’instant « opérer sous une sorte de nostalgie pour l’ancien système ». Les Etats-Unis parlent par exemple de « Grand Moyen-Orient » à propos de la stratégie dans cette région, afin de lutter contre le terrorisme et pour la démocratie. Ils se réfèrent ainsi, comme au temps de la guerre froide, à « un péril unifiant face auquel on va développer une grande stratégie transatlantique ».
Or le degré d’accord sur le Moyen-Orient est insuffisant pour inventer entre Européens et Américains un équivalent fonctionnel de la guerre froide ou de l’Otan face aux problèmes dans cette région du globe. Cette « stratégie nostalgique » est une impasse puisque les problèmes mondiaux actuels ne sont plus un ciment suffisant.

De même l’appréciation de la menace terroriste est-elle divergente. Depuis le 11 septembre, les Etats-Unis nous reproche notre politique d’apaisement voire d’aveuglement, quand l’Union européenne reproche leur simplisme aux Américains.

Les Occidentaux devraient ainsi se concentrer sur les moyens de faire fonctionner une alliance optionnelle, à la carte, qui se construira à chaque fois. Les Européens pourront plus facilement se mettre d’accord pour une nouvelle approche. Ils devront à défaut surmonter leurs désaccords sur l’idée d’une puissance européenne et prendre les initiatives pour la mettre en œuvre.
Les Etats-Unis n’échapperont pas de leur côté à des interrogations en profondeur sur les éléments permanents et conjoncturels de leur nouvelle politique. Aussi profondes soient-elles, les divergences n’empêchent pas une alliance, mais il nous faudra bâtir ensemble un nouveau système de partenariat.

La notion de communauté occidentale ne doit pas moins être défendue et valorisée. L’Amérique, qui s’habitue de plus en plus à agir seule, doit se rattacher à une société internationale pluraliste. Les Etats-Unis doivent être convaincus que la vraie ligne de partage du monde ne passe pas entre eux et les autres Etats, mais qu’ils sont membres d’une même communauté de destin qu’ils forment avec « ces vieux Etats européens, dans une Alliance atlantique fatiguée, mais que l’on appelle encore l’Occident ». Un participant français remarque néanmoins que « les Occidentaux vont devoir agir dans une relation ouverte face à des problèmes extérieurs se posant de manière diverse. Cela demandera de passer d’une mentalité d’alliance à une mentalité de communauté, ce qui ne sera pas facile ».

* L'Institut Aspen France


C'est un centre international d'échange et de réflexion créé en 1983. Organisme indépendant, non partisan et à but non lucratif, son siège est établi à Lyon depuis 1994 dans le cadre d'un accord de partenariat avec les collectivités territoriales en Rhône-Alpes. L'Institut Aspen France est affilié à The Aspen Institute, né en 1949 à Aspen (Colorado), dont le siège est à Washington D.C. et s'inscrit au sein d'un réseau international avec les autres Instituts Aspen basés à Berlin, en Italie, au Japon et en Inde.
L'objectif de l'Institut Aspen est double :

· Aider les décideurs issus du monde économique, politique, universitaire, associatif, syndical et des médias à mieux identifier les défis qu'ils ont à relever en recherchant ensemble les solutions aux problèmes contemporains ;

· Favoriser dans un cadre informel la rencontre entre dirigeants appartenant à des univers géographiques, culturels et professionnels différents.

La mise en ouvre de ce double objectif s'effectue dans le cadre de conférences internationales et de séminaires, traitant des grands enjeux politiques, économiques et sociétaux contemporains. L'Institut Aspen France organise en outre des rencontres en région Rhône-Alpes afin de favoriser une confrontation d'idées originales bénéfiques pour le développement territorial au cour de l'Europe.

Depuis sa création, l'Institut Aspen a marqué et enrichi la réflexion de plusieurs générations de dirigeants du monde entier et a exercé une influence indirecte mais constructive dans les grands débats internationaux.