Saviez-vous qu’à leur arrivée en France les Harkis ont été parqués dans des camps cerclés de barbelés où ils ont longtemps été confinés ? Saviez-vous que les derniers camps n’ont fermé que dans les années 85-87 ? Posez ces questions autour de vous et vous comprendrez pourquoi le témoignage que vient de signer Dalila Kerchouche est indispensable (Mon père, ce harki, Seuil, 2003). Depuis toute petite, Dalila caresse un rêve secret : devenir écrivain. Mon père, ce harki est un livre que cette jeune brunette porte en elle depuis longtemps. Intimement convaincue qu’un jour elle travaillerait sur les harkis, elle a longtemps repoussé ce projet par peur de ne pas en sortir indemne. Et puis un beau matin, sa décision était prise. C’est l’époque où l’on se met enfin à parler de la guerre d’Algérie et de la torture. Dalila se dit que le moment de briser le silence est venu. Pas question que cette fois encore, les harkis n’aient pas droit au chapitre. Elle abandonne provisoirement son poste de journaliste à "l’Express" pour partir à la recherche d’un passé qui la taraude depuis toujours mais surtout pour comprendre pourquoi son père qu’elle a "adoré" enfant et "détesté" plus tard avait trahi son pays, l'Algérie, en s'engageant, le 18 mai 1956, dans les forces françaises.

A quoi bon remuer le passé...

Tous les membres de sa famille ne verront pas sa quête d’un bon œil. "A quoi bon remuer le passé. Maintenant c’est trop tard. C’est il y a trente ans qu’on aurait dû s’intéresser au sort des harkis", lui rétorquera sa mère. Pour la jeune Dalila, philosophe de formation, il n’est jamais trop tard. Ce qu’ont vécu les supplétifs de l’armée française et leur famille n’appartient pas encore au passé. "Les enfants des harkis sont chômeurs à 80% si l’on en croit les chiffres qui circulent", affirme-t-elle.
N’en déplaise à sa mère, Dalila remontera donc le temps jusqu’au 30 juin 1962, date à laquelle ses parents ont débarqué à Marseille après un pénible voyage dans les soutes moites et obscures du Sidi Brahim. Elle visitera un à un les camps (Bourg-Lastic, Rivesaltes, La Loubière, Roussillon en Morvan, Mouans-Sartoux, Bias) où douze ans durant les siens ne connaîtront que misère, détresse et harcèlement. Cadette d’une fratrie de onze enfants, c’est d’ailleurs à Biais que Dalila verra le jour en 1973 mais par chance elle n’y grandira pas. Elle racontera tout cela mais aussi les coups bas du ministère des Rapatriés qui détourne les prestations sociales, le désespoir qui pousse les hommes à la folie, au meurtre et au suicide, l’inhumanité du chef du camp de Mouans-Sartoux dont elle se vengera des années plus tard à sa façon…
Elle poussera son investigation au-delà de la méditerranée et se rendra pour la première fois en Algérie, dans les montagnes du Chlef d’où sont originaires ses parents, pour découvrir la vérité que son père a gardé pour lui et qu’il n’a jamais voulu révéler à qui que ce soit.
Le résultat ? Deux cent cinquante pages toutes d’émotions contenues et un témoignage édifiant qui retrace plus qu’une histoire personnelle et familiale. Elle qui craignait de ne pas sortir saine et sauve de cet ouvrage est non seulement indemne aujourd’hui mais libérée. Mieux encore, la petite dernière s’est réconciliée avec son père qu’elle a réussi à arracher au mutisme coupable où il s’était enfermé. Dalila reconnaît avoir écrit ce livre pour lui parler. Mon père ce harki est aussi un hommage au courage de sa mère et une façon d’honorer la mémoire de son frère aîné, Mohamed, qui à l’âge de 35 ans s’est pendu pour mettre un terme à une vie où le passé a fini par trop peser sur le présent. Il est parti en lui disant "regarde ce qu’ils nous ont fait".
Outre ce récit très autobiographique, Dalila Kerchouche signe parallèlement un autre ouvrage, Destins de Harkis, aux éditions Autrement. Plus journalistique, il donne la parole aux femmes et de filles de harkis et contient d’émouvantes photos signées Stephan Gladieu qui font d’ailleurs l’objet d’une exposition du 25 septembre (Journée nationale d'hommage aux harkis) au 10 octobre, au musée de l'Armée, aux Invalides, à Paris.