L'égalité républicaine ne doit pas être l'uniformité républicaine

Dans le cadre d'une mise en place d'une politique de la ville, le ministre délégué, Monsieur Jean-Louis Borloo, dans une logique réaliste et de proximité travaille sur deux chantiers prioritaires : la rénovation de l'Habitat pour réduire "la ségrégation territoriale" et l'Education qui passe nécessairement par le rétablissement de l'autorité des parents et par un enseignement plus adapté aux jeunes issus de l'immigration. Un véritable défi qui doit concilier impératifs d'intégration et le respect d'une République laïque.

El ghissassi Hakim : Vous êtes au gouvernement depuis 6 mois, en charge de la politique de la Ville, Quelles sont, selon vous, les priorités essentielles d’une politique réussie à l’endroit des quartiers en difficultés ?


Jean-Louis Borloo : Avant de parler de mes priorités, permettez-moi d’abord de commencer par un constat.
- En 20 ans, la situation s’est globalement dégradée. Beaucoup plus de quartiers sont en difficultés. Un chiffre suffit à prendre la mesure de la situation. 4 fois plus de chômage dans les cités que dans les quartiers pavillonnaires alentours. Le chômage y avoisine les 42/44% de la population active. C’est énorme !
Le plus inquiétant, c’est que ce chômage monte malgré la croissance qui a bénéficié au reste de la population ces cinq dernières années.
- Outre le problème de l’emploi, ces quartiers sont à dominante internationale.
- L’habitat dégradé y est concentré
- La population est y plus jeune qu’ailleurs. 32% des personnes ont moins de 20 ans contre 22% sur l’ensemble du territoire.
Compte tenu de ce constat,
Mes priorités sont au nombre de deux :
1) Rétablir l’autorité des adultes et notamment des mères de familles par une rénovation massive de l’habitat.
L’habitat est important car il entraîne une ségrégation territoriale. On ne peut pas être heureux dans un logement dégradé. Le sentiment d’injustice s’y développe plus facilement ; il autorise par là même les transgressions. C’est alors une véritable spirale négative.
Dans ce cadre, je suis pour qu’on rattrape le retard dans la construction de logements sociaux : Les besoins sont de 70000 par an alors qu’en 2001, à peine 38000 logements ont été construits. Dans cette perspective, je suis favorable au regroupement du monde HLM qui aujourd’hui est divisé entre organismes riches et organismes pauvres. Dans le même esprit, le dispositif du 1% patronal, jusqu’alors limité aux salariés, va permettre à partir de 2003 de financer tout type de logement pour tout public.
La loi de programmation sur 5 ans qui a été votée ces derniers mois va justement dans ce sens.
2) Ma deuxième priorité, c’est l’éducation.
Le modèle de l’éducation nationale tel qu’il est pensé et pratiqué aujourd’hui, et qui marche très bien pour les jeunes bretons et normands, est peu adapté aux réalités de ces "cités internationales". Il faut, je pense, faire admettre le principe que pour ces cités, il soit dégagé des moyens financiers et pédagogiques ainsi qu’une assistance et des moyens humains beaucoup plus importants. En somme, je vais essayer de faire accepter l’idée de moyens discriminants pour ces quartiers.
Car l’égalité républicaine ne doit pas être l’uniformité républicaine.
Pour moi, l’école doit former la nouvelle élite du pays y compris dans ces quartiers.

Qu’entendez-vous par


En disant cela, je veux parler de la concentration des jeunes d’origines étrangères qui, en plus de ce problème, sont scolarisés dans des écoles pauvres, ce qui ne peut que les fragiliser.
D’autre part, on peut être français, et avoir une culture internationale ; et donc des atouts et des spécificités dont il faut tirer partie. Il faut sortir de ce dogmatisme et de cette grande pudeur qui consistent à ne pas regarder les choses en face.
On avait accordé pour les ZEP (zones d’éducation prioritaires) 8% de moyens en plus, ce qui me paraît insignifiant. Il faut accepter l’idée que ces endroits ont besoin de financements beaucoup plus considérables
Ce dont je suis convaincu, c’est que le modèle républicain d’aujourd’hui, n’arrive pas à absorber ce type de phénomène, alors qu’il s’agit de sortir de "cette ségrégation territoriale" à savoir la déconcentration.
Ce qui manque dans ces quartiers, c’est qu’il n’y a pas de fluidité. Les gens restent sur place. Ils n’évoluent pas.

Avez-vous l’intention de remplacer le terme de


Non, je dis que ces quartiers difficiles ont une dimension internationale. Tout le monde veut aller au lycée international de St Germain parce que la pédagogie y est plus adaptée, les moyens ne sont pas tout à fait les mêmes ; mais il est vrai qu’il faut trouver un terme qui rend bien compte de cette difficulté dans ces quartiers et de cette richesse à laquelle nous nous efforçons de remédier.
Ne pensez-vous pas que si l’on adopte cette terminologie, le lien de cause à effet entre les difficultés et le fait que ces cités soient internationales soit systématiquement établi ? Au lieu de parler tout simplement d’échec de la politique d’intégration?
Ma conviction est celle-ci : à part quelques problèmes marginaux, la jeunesse est particulièrement présente, et la mixité culturelle de ces cités internationales, confortée par la formation, est une véritable richesse. En vérité, tous les ministères s’étaient retrouvés jusque là dans un carcan institutionnel, renforcé par un sentiment d’indifférence et de catastrophisme.
Je rappelle que la question de la réouverture de l’immigration a été posée par le monde économique.

Selon vous, le concept de


Loin de moi l’idée d’une quelconque séparation urbaine, mais j’ai conscience de la responsabilité qui m’incombe dans les choix. L’idée d’intégration ne va pas de soi chez ces populations.

L’école laïque de la république est-elle capable d’accepter l’enseignement des religions et d’intégrer les autres cultures ? Face à l’obsession de l’école laïque à


Nous réfléchissons avec l’éducation nationale à mettre des moyens exceptionnels pour parer à l’échec scolaire.
Le travail de fond n’a pas encore été engagé mais ma position en tant que ministre de la ville est celle de dire que la stratégie à adopter dans les écoles fréquentées par des jeunes de cultures internationales ne sera pas la même que celle prévue pour les autres établissements de culture française majoritairement ; puisque des moyens pédagogiques d’adaptation supplémentaires doivent figurer parmi le projet.
Les moyens différenciés ne remettent pas en cause le principe républicain ; et la complexité de la mise en œuvre de ses projets ne doit pas nous faire douter de cela.
Ces lycées dont il est question au sein de ces cités ne sont pas munis d’un corps enseignant adapté, prévu pour un suivi sur un terme plus ou moins long, à savoir, le temps nécessaire pour maîtriser le terrain au profit de l’équilibre et de l’adaptabilité de l’écolier ; si on tient à dispenser un enseignement solide et valable à ces jeunes, il s’agit de recruter un corps enseignant sur des bases différentes de celles prévues par l’éducation nationale traditionnelle. Cela me paraît évident.
Qu’avez-vous prévu dans votre programme sur cette question précisément ? La politique qui vise à mettre en place un cadre d’éducation spécialisé n’est-elle pas liée à l’idée que ces "cités internationales", peuplées de jeunes majoritairement, serviront, une fois formés, la France des années 2010, à savoir ces années où les jeunes manqueront le plus aux populations européennes ?
Il est clair que cet enseignement ne se fera pas sur les mêmes critères ni sur le même schéma traditionnel. J’insiste sur le fait que cela commence très tôt dés la maternelle si on veut plaider pour l’égalité des chances et la formation des élites.
Certains de mes collègues préconisent que si l’on mettait le "paquet" sur la formation de ces jeunes, en les envoyant à l’étranger pour renforcer des missions françaises, ils y mettront plus de cœur que d’autres jeunes. Le pays souffre d’un "complexe d’autosuffisance" qui n’encourage pas les jeunes à l’enseignement des langues étrangères.
Je ne saurai que trop insister sur la priorité de l’emploi dans ces cités. Je dirai même que c’est un passage obligé pour effacer les inégalités à coté d’un véritable travail de mobilisation et de sensibilisation des entreprises.
Cela restera insuffisant si dans le domaine de l’urbanisme, on ne rasait pas ces immeubles de manière massive puisque les moyens financiers sont là. Reconstruire rapidement et remettre à niveau l’ensemble du parc. A ce sujet, nous avons mis en place au sein du ministère un outil, "la mission de rénovation urbaine" doté d’un budget de 1, 2 milliard d’euros par an. Et ce, en plus des crédits de droit commun qui permettent aux élus locaux et aux directeurs des offices de HLM d’agir localement.
Même si l’on considère que l’emploi et l’urbanisme sont les deux chantiers prioritaires, il n’en demeure pas moins que la question de l’intégration reste subordonnée au rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants et de leur responsabilité.
En plus des moyens techniques, une politique volontariste est engagée pour réduire les écarts entre les bassins.

Cette priorité est-elle considérée de la même manière par le gouvernement de monsieur Raffarin, car finalement, c’est à ce niveau-là que l’on décide si la question mérite débat ou pas ?


Sur les quartiers prioritaires, les autorités locales ne peuvent à elles seules affronter ce problème Il s’agit de simplifier la vie locale, la fusion des financements entre le ministère de la ville et les offices HLM, la transparence dans ces financements, communiquer via Internet sur la règle à adopter. Pour le réaménagement d’une ville comme celle de Montfermeil, les procédures habituelles auraient été inopérantes. Suite aux multiples réunions de travail avec les maires et les élus locaux, nous avons convenu d’un budget de 86 millions d’euros nécessaires pour la reconstruction.

Comment comptez-vous aménager ces quartiers multiculturels de manière à permettre la pratique du culte musulman dans la sérénité et en conformité avec les lois de la république ?


Fondamentalement, la République prévoit la pratique du culte pour toutes les communautés sans distinction. C’est précisément cela qu’on appelle un Etat laïc.
La loi qui prévoit la séparation de l’Eglise et de l’Etat est toujours d’actualité.
En concertation avec le ministre de l’intérieur, monsieur Nicolas Sarkozy, nous réfléchissons quant à une vision plus adaptée aux communautés présentes dans ces espaces urbains dans le respect de leurs croyances et de leurs pratiques.

Qu’en est-il du financement de ces lieux de cultes, de leur construction et de leur entretien dans la cité ? De quelle manière la politique de la ville peut-elle aménager aux musulmans des lieux de culte dignes de ce nom ? Le dernier exemple en d


Nous sommes devant un problème philosophique de la république. Aujourd’hui, ce n’est pas la volonté des maires qui fait défaut, mais l’absence d’interlocuteurs ; à Marseille, monsieur Gaudin, voyant que les associations musulmanes ont été incapables de se fédérer, a décidé de prendre le projet à son compte.

Les différentes sollicitations de la communauté musulmane envers l’Etat ne va pas sans créer un sentiment de communautarisme chez la population française dans son ensemble. Construction de mosquées, formulation de lois contre les discrimination


Je ne crois pas à ce scénario catastrophe.
Si on fait baisser la pression par des actions de rénovation urbaine et éducative massives, on aura gagné notre pari. Je trouve que nous sous-estimons l’apport extraordinaire des universitaires appartenant à la communauté musulmane ; tout le monde connaît beaucoup plus des musulmans qui travaillent que ce qu’on montre à la télévision.

Comment concevez-vous l’implication du tissu associatif dans la politique d’intégration au sein de la cité et quels moyens mettriez-vous à leur disposition pour une meilleure participation citoyenne, comparativement au gouvernement précéd


Le rôle des associations n’est pas de porter les carences des collectivités, ce n’est pas du service public par délégation et moins cher ; c’est essentiellement du lien social.
Ces associations ne peuvent progresser que si on met en perspective de vraies formations aboutissant à des plans de carrière valorisants. On essaye de mettre à contribution la CAF, les départements, la ville, le FASILD pour établir un fil directeur, une vraie stratégie, une évolution de carrière, pour faire développer les formations.
Il reste que nous avons un grand travail à effectuer sur les métiers de l’humain.

Quels sont vos objectifs pour les cinq années à venir ?


En matière d’urbanisme, mettre tout le parc du logement social à niveau. Qu’il n’y ait pas de différence par exemple entre le plateau de Clichy-sous-bois et le bas de Clichy-sous-bois. Les deux lieux doivent être aussi agréables à vivre dans le but de réduire cette fracture inadmissible.
En matière d’emploi, réduire de moitié le taux de chômage dans ces quartiers.
De plus, l’absentéisme, l’échec scolaire, sont autant de fléaux auxquels nous devons aussi nous attaquer.