L'Antarctique renferme pas moins de 90% des glaces du monde, et sur des épaisseurs dépassant par endroits les 4.000 m, un formidable grenier-congélateur d'où l'on extirpe des informations sur notre planète, son passé climatique, la pollution ou l'origine du système solaire.
Autour de la base franco-italienne de Concordia, l'uniformité du paysage n'est qu'illusion pour qui sait lire les composants de la vapeur d'eau dans l'atmosphère et les quelques centimètres de neige qui tombent chaque année sur le continent et s'y accumulent en se transformant en glace.
Olivier Cattani ""piège la vapeur d'eau de l'air"" - 3 mm en 3 jours -, et récolte chaque matin avec un pinceau les cristaux déposés au fond d'un carton.
De retour dans son laboratoire de Saclay (Essonne), ce responsable à Concordia du programme Vapepol (Vapeur polaire) du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) en mesurera les isotopes pour en tirer des conclusions sur la température au moment où les cristaux se sont formés.
En les comparant avec ceux de la glace en profondeur, il pourra connaître les températures du passé, remontant à des centaines de milliers d'années.
Dans les alentours de la base construite par l'Institut polaire français Paul-Emile Victor (Ipev), éloignée de toute pollution directe, la neige de surface donne aussi des indications sur la répartition des précipitations d'été et d'hiver.
Hélène Brunjail a creusé un puit de deux mètres de profondeur et de 2 m sur 2 à la pelle. Au fond, engoncée dans ses lourds vêtements, mais les mains à peine couvertes de gants légers par moins 40 C pour tourner ses molettes, elle observe ""les différents paramètres de la neige, comme la densité, la taille et la forme des cristaux, la dureté des couches"", explique-t-elle.
Grâce à ces éléments, recueillis également en surface, la doctorante au Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (LGGE) de Grenoble (Isère) espère ""modéliser la densification de la neige"" à différents niveaux pour améliorer la datation des couches profondes.
""On essaie de comprendre les paramètres qui régissent l'évolution de la structure de la neige dans les couches de surface, pour mieux saisir comment elle se transforme en glace"", renchérit un autre glaciologue grenoblois, Dominique Raynaud.
Plus profond encore, au sein même de la glace, sont emprisonnées des bulles d'air qui, note le chercheur, ""racontent l'histoire du passé de l'atmosphère, et en particulier des gaz à effet de serre"".
Avec le programme européen de forage de glaces Epica (European project for ice coring in Antarctica) au Dôme C, un carottage dans une épaisseur de glace de 3.270 m, les variations du climat en Antarctique peuvent ainsi être retracées sur plus de 800.000 ans.
""Cela a une importance évidente en ce qui concerne la compréhension de la machine climatique, et en particulier de ce qui se passe au niveau des gaz à effet de serre et des liens avec le climat"", fait remarquer Dominique Raynaud.
Il est ainsi possible de ""lire"" la succession des différentes glaciations, ou encore l'éruption du Krakatoa en Indonésie en 1883, voire les essais nucléaires des années 1950-1960.
La comparaison des carottes de glace de l'Antarctique et du Groenland autorise également les scientifiques à établir des corrélations entre les événements climatiques du nord et du sud.
La glace de Concordia livre ainsi de très nombreux messages déchiffrés dans les laboratoires, en partant des éléments de la molécule d'eau en suspension dans l'atmosphère pour arriver à sa transformation en cristaux de neige qui, à la longue, se transformeront en névé (neige durcie) puis, plus profond encore, en glace. (AFP)