Selon la Banque mondiale, plus de 167 milliards de dollars ont pris le chemin des pays en développement en 2005. Cela grâce aux transferts effectués par les immigrés installés dans les pays riches. Ces flux financiers sont largement supérieurs à l’aide publique de ces mêmes pays. Dans les pays bénéficiaires, cet argent permet de réduire la pauvreté et sert souvent de soupape de sécurité. Cependant, son impact sur le développement reste pour le moment limité. Le Maroc compte plus de 3,15 millions de ressortissants qui vivent à l’étranger et l’essentiel des envois de ces Marocains passe par le secteur bancaire. Même si l’on ne dispose pas de chiffres précis, les économistes tablent sur une croissance continue de ces transferts. C’est ainsi qu’aujourd’hui, dans le royaume chérifien, l’argent de la diaspora pèse plus que les recettes issues du tourisme. Cette année encore, les recettes voyages et les recettes MRE n’ont pas dérogé à la règle de progression et servent à rétablir l’équilibre de la balance des paiements. C’est dire l’importance que revêtent les transferts pour l’État marocain, mais aussi pour beaucoup d’institutions financières et d’acteurs qui s’intéressent au co-développement. Mais, au Maroc comme ailleurs, se pose la question de savoir si aujourd’hui les migrations contemporaines favorisent l’expansion des pays de départ et, si oui, s’il ne faut pas aider les immigrés à devenir les fers de lance de la lutte contre la pauvreté plutôt que les traiter comme des parias et multiplier des lois qui les rendent suspects aux yeux de tous. Tous les spécialistes s’accordent à dire que 80 % des sommes envoyées servent à couvrir des besoins de subsistance. On note ainsi, dans les pays qui reçoivent, que les transferts augmentent le revenu des familles, donc alimentent la demande. Ils jouent aussi un rôle précieux de protection sociale (maladie, chômage...) dans les régions qui en sont complètement dépourvues. Selon les conclusions d’un colloque qui s’est tenu récemment à Settat, on a constaté que 80 à 90 % des investissements des MRE ont lieu dans la région d’origine. On envoie de l’argent par solidarité avec les siens qui sont restés au pays, mais aussi « pour y garder sa place, y être accueilli en prince, y améliorer le confort, en vue de ce retour auquel on aspire et qui permet d’affronter les difficultés de la migration ». Paradoxalement, l’argent qui n’est pas consommé sur place est dirigé vers d’autres régions plus prospères, quand il n’est pas investi à mauvais escient par des parents de l’expatrié. De nombreux immigrés ont perdu beaucoup d’argent en créant des commerces ou des activités que leurs familles ont été incapables de gérer. Aujourd’hui, les immigrés sont les premiers à se lasser de financer sans fin ces familles.
Un formidable effet de levier L’argent des expatriés sert également à remédier aux mauvaises récoltes, en cas de crise économique et, pour l’État receveur, à renforcer sa balance des paiements, donc à améliorer sa notation et à obtenir de la sorte un meilleur accès aux marchés internationaux de capitaux. Mais les transferts financiers s’accompagnent aussi d’effets pervers. Dans bien des cas, ils engendrent une pression inflationniste et détournent une partie de la consommation vers des produits importés. Au pis, l’argent en question crée un cercle vicieux de dépendance, avec des destinataires qui développent des comportements de rentiers au lieu d’être tournés vers des investissements productifs. « Si on abondait les transferts et si seulement 10 % de leur montant étaient orientés vers des investissements productifs, l’effet de levier serait formidable », estime Guillaume Cruse, de l’Agence française de développement. Mais la simple augmentation des transferts ne suffira jamais à elle seule pour lutter contre la pauvreté. Il faut que les pouvoirs politiques appuient les projets initiés par les migrants et simplifie les procédures. Certes, les petits ruisseaux font les grandes rivières, et toute devise transférée au pays est essentielle. Mais il ne faut pas oublier que l’argent des migrants, durement gagné, reste du domaine privé. Les bénéficiaires peuvent le mettre dans le circuit productif ou le dépenser à perte. C’est à l’État de les rassurer et de les inciter à œuvrer dans le sens d’un développement durable.