Depuis quelques années, de jeunes artistes d’origine marocaine sont littéralement en train de s’imposer sur la scène culturelle néerlandaise et de récolter toutes les récompenses nationales et internationales dans des domaines très variés. Sans préjuger du fait que ces succès sont des signes objectifs d’une intégration mieux réussie qu’en France, il est important de remarquer que, bien que les Marocains aient mauvaise réputation en tant que « communauté » aux Pays-Bas, cela n’empêche pas des artistes de réussir de façon presque insolente, raflant tous les prix.
Comment expliquer que des créateurs d’origine marocaine, nés entre 1970 et 1981, réussissent si vite dans un pays aussi étranger à leur culture que les Pays-Bas ? En effet, les situations coloniales ont créé au Maghreb une forme de proximité avec la France et les Français, mais il en est tout autrement pour la Hollande, et pourtant ça marche !
Un regard extérieur a parfois du bon : si tout le monde connaissait des écrivains ou des rappeurs d’origine marocaine à succès, personne aux Pays-Bas n’avait remarqué à quel point les jeunes néerlando-marocains sont maintenant présents et visibles dans tous les domaines artistiques.

Pour ce qui est des écrivains, on citera Hafid Bouazza né en 1970, Abdelkader Benali en 1975, Said El Haji en 1976, ou Khalid Boudou en 1974, ainsi que le poète Mustapha Stitou né en 1970. Tous ont en commun d’avoir remporté les prix littéraires majeurs entre 2003-2005. A. Benali a obtenu, en 2003, le prix Libris de littérature néerlandaise. A 30 ans, M. Stitou est récompensé par le VSBprijs, un prix prestigieux devançant des poètes néerlandais nettement plus âgés. En 2003, H. Bouazza obtient le AmsterdamKunstprijs (prix d’Amsterdam pour les arts). Les derniers romans d’A. Benali et de K. Boudou font partie de la liste des cent meilleurs romans de l’année 2005 au niveau mondial, selon le Boek Magazine (un prestigieux magazine littéraire).

Au cinéma, 2004 a été l’année du premier film néerlandais ayant pour protagonistes les membres d’une famille d’origine marocaine. « Shouf Shouf Habibi » a battu les meilleurs records d’entrées avec 360 000 spectateurs. L’initiateur et acteur principal du film est Mimoun Oaïssa. Après ce film est paru, en 2005, l’adaptation au cinéma du roman de Khalid Boudou, Het shnitzelparadijs « Le paradis de la saucisse », battant lui aussi, des records d’affluence – à défaut d’avoir été aussi bien reçu par la critique que « Shouf Shouf Habibi », qui avait réussi la prouesse d’être apprécié par la critique et par les intellectuels tout en étant un succès populaire. Het shnitzelparadijs a comptabilisé 330 000 spectateurs en huit semaines (septembre-novembre 2005), coiffant sur le poteau le pionnier en la matière, « Shouf Shouf Habibi » (320 000 entrées
pendant la même période en 2004).
En musique, c’est chez les rappeurs que les jeunes d’origine marocaine se font brillamment remarquer. A à 23 ans, Ali B., l’idole de tous les petits Néerlandais, s’est vu ériger sa statue en cire au musée Madame Tussaud (l’équivalent du musée Grévin à Paris). Fin 2004, son album a été couronné du prix du meilleur album 2004, catégorie musique pop (Popprijs). On évoquera aussi Casablanca Connect, qui rappe en anglais et en darija et qui a participé à la musique du film « Shouf Shouf Habibi ».
Dans un autre domaine, on citera le peintre Rachid Ben Ali (1975) dont certaines œuvres on été choisies par la souveraine hollandaise pour des musées nationaux et qui a emporté le KunstRaiprijs en mai 2003.
Le grand succès des deux films que l’ont vient d’évoquer, et où jouent de nombreux acteurs d’origine marocaine, est tel que le très sérieux quotidien de Volkskrant a consacré deux pleines pages, le 27 octobre 2005, à l’émergence d’un genre nouveau, le film multiculturel aux Pays-Bas.
C’est par l’autodérision que ces artistes marocains, écrivains, acteurs, rappeurs et comédiens se sont imposés — cette forme d’humour apportant une preuve de leur maturité ; rire de soi n’est-il pas une excellente manière de se faire accepter ?
C’est ce type d’humour que pratique également l’humoriste Najib Amhali (né en 1970) dans ses spectacles qui font salle comble pendant des mois.
Dans le discours des média ou du café du commerce néerlandais, les Marocains ont très mauvaise presse — c’était déjà le cas avant l’assassinat de Theo van Gogh, et ça s’est aggravé depuis. Le discours bien pensant tourne autour du fait que l’islam est inassimilable dans des sociétés démocratiques… On peut, à l’inverse, choisir de mettre l’accent sur ce qui marche en regardant les succès remportés par tous ces jeunes créateurs néerlandais d’origine marocaine… On réalise à quel point ils ont su travailler la société néerlandaise de l’intérieur, puisqu’ils la connaissent si bien, et combien ils aiment la langue néerlandaise qu’ils utilisent de façon si novatrice. Ces jeunes démontrent ainsi qu’ils font partie de cette société : ce sont des artistes hollandais à part entière ! Les Néerlandais sont un peu surpris par ce changement et peut-être un peu inquiets. Ils maintiennent inconsciemment cette jeunesse à l’écart, mais l’intégration ne peut que se faire dans le pays qui vous a façonné…