Le Festival des musiques sacrées du monde qui s’est tenu pour la douzième fois dans l’antique ville sainte de Fès, au Maroc1, est un événement culturel et spirituel exceptionnel. Son programme affichait à nouveau cette année des concerts et des artistes de premier plan, reflétant la pluralité musicale et culturelle de la planète : Jordi Saval, Salif Keita, Enrico Macias, pour ne citer que quelques interprètes célèbres. Le festival proposait aussi, comme à son habitude, une série de conférences sur deux thèmes : le développement durable et l’apport de la spiritualité et de la culture dans la résolution des conflits. Là encore, de nombreuses personnalités intellectuelles, politiques, religieuses ont apporté leur contribution ; citons notamment l’écologiste Nicolas Hulot, l’ancien chef de la diplomatie française, Hubert Védrine, le cinéaste allemand Wim Wenders, l’ancien ministre de la culture libanais, Ghassan Salamé… Ce compagnonnage insolite entre musique sacrée et politique n’est pas la moindre originalité de cette manifestation. Il est audacieux et utile. Les organisateurs ont eu du flair en réalisant ce décloisonnement, surprenant à première vue. Il rappelle que musique et politique ne sont pas aussi exogènes que l’on veut bien le penser. L’une et l’autre nourrissent un même projet : celui de rendre le monde plus beau et habitable pour tous. Vivre en harmonie est une quête inassouvie de l’humanité. La musique y contribue en parlant aux sens. La politique y pourvoit, ou le devrait, en convoquant la raison ! Mais ni l’une ni l’autre ne peuvent réaliser ce dessein à elles seules. La bonne idée du festival est de mettre en évidence leur nécessaire complémentarité. La musique a le génie d’évoquer l’indicible. De transformer en sons ce que les mots de tous les langages humains sont incapables de formuler. André Malraux, qui était plus métaphysicien que mélomane, disait que la musique seule pouvait parler de la mort. Certaines joies profondes recourent également à la musique pour s’exprimer, se transmettre. Une cantate de Bach, un chant soufi valent parfois mieux qu’un long discours. Chacun en fait l’expérience aux étapes cruciales de sa vie. Le génie de la politique est de permettre à des hommes et à des femmes de ne pas différer leur rêve de communion. Dès maintenant, ils peuvent se mobiliser autour d’un projet et agir pour un idéal à partager avec d’autres. Pour de multiples raisons, la politique est discréditée, la démocratie dépréciée, l’utopie re-toquée par des sociétés qui en ont oublié le prix et perdu le goût. Pour se réhabiliter, la politique a certainement besoin de retrouver du souffle, de reprendre de l’altitude, de redevenir « espoir ». La musique et la politique devraient ainsi échanger leurs propriétés. Cela aiderait la première à se démocratiser. Cela permettrait à la seconde de s’élever. Le Festival de Fès encourage cette rencontre et bien sûr, le rapprochement entre les peuples des deux rives de la Méditerranée.

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(1) du 2 au 10 juin 2006