propos reuccueillis par Hakim El ghissassi La Médina : L'héritage arabo-musulman fait partie intégrante de l'histoire de l'Europe en général et de l'histoire de France en particulier. Cependant, cet héritage est passé sous silence dans les manuels scolaires. Ne pensez vous pas que la réconciliation de la France avec ses enfants de cultures musulmanes doit passer en partie par l'intégration et la valorisation de cet héritage dans les manuels scolaires qui forment la totalité des citoyens de demain ?

Jacques Chirac : Pour comprendre le monde d'aujourd'hui, pour que chacun puisse trouver sa place dans la communauté nationale, il importe de tirer une légitime fierté de la connaissance de ses racines.

A cet égard, j'estime que l'essentiel de l'enseignement de l'histoire, et singulièrement celui des cultures, des civilisations et des religions qui ont façonné notre nation et font sa richesse, est essentiel. Il l'est tout particulièrement pour ces enfants de l'immigration qui ont tant à donner et tant à partager et à qui nous avons le devoir de transmettre et de faire aimer ce qui est notre héritage, qui est aussi leur héritage.

Les programmes scolaires donnent déjà des clés et des outils précieux à notre jeunesse. Mais il est sûrement nécessaire d'aller plus loin. C'est l'une des leçons que nous devons tirer des événements du 11 septembre : nous ne bâtirons un monde juste et un monde de paix que si nous savons respecter partout la diversité culturelle et organiser le dialogue des cultures.

Les Français de cultures musulmanes sont victimes de discriminations dans l'administration, les entreprises, l'attribution des logements, dans les contrôles de police.
Quelles mesures votre prochain gouvernement s'engage à mettre en place pour lutter plus efficacement contre ces discriminations au-delà de la simple mise en place des CODAC et du numéro 114 ?


L'installation des commissions d'accès à la citoyenneté, le numéro d'appel 114 ou encore la nouvelle procédure pénale réprimant les comportements discriminatoires se révèlent manifestement insuffisants.
Il est indispensable que le principe d'égalité inscrit au fronton de notre République soit une réalité pour les citoyens français. Cela signifie un engagement constant des pouvoirs publics dans la recherche et dans la sanction de tous les comportements de discrimination et donc une volonté politique sans faille. C'est à mes yeux une responsabilité éminente de l'Etat, une priorité de chaque instant et un devoir pour tous.

L'islam est reconnue comme la deuxième religion de France. Cependant, les lieux de culte musulmans sont pour la plupart dans un état d'indécence. Quelles mesures, monsieur Chirac, prévoyez-vous pour mettre à niveau l'islam avec les autres cultes catholiques, protestants et juifs, tant au niveau des mosquées, des carrés musulmans que de l'action en faveur de la mise en place d'écoles franco-musulmanes ?

Les musulmans de France perçoivent dans leur grande majorité qu'il est temps de clairement dissocier leur interprétation pacifique et tolérante de l'islam des dérives fondamentalistes qui agitent certains groupuscules. Sans quoi, des années d'efforts d'inscription de l'islam dans l'environnement de nos villes risquent de sombrer.

D'abord, il faut sortir l'islam des caves, pour employer une expression triviale mais malheureusement exacte. Plus généralement, l'émergence d'un islam de France doit constituer un objectif prioritaire, à travers l'élection d'un conseil représentatif élu dans des conditions de parfaite transparence, reflétant la diversité des composantes musulmanes présentes sur le sol national. Parallèlement, il est à mes yeux très important que l'islam de France dispose des outils nécessaires pour assurer sur notre sol la formation de cadres religieux s'exprimant dans notre langue. Des initiatives en ce sens ont été envisagées dans un passé récent. Elles méritent d'être relancées et encouragées dans le respect des lois et des principes républicains : ceux de la liberté de conscience, de la laïcité ou encore de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Les Français de cultures musulmanes représentent peu ou prou 5 millions de personnes. Cependant, elles ne sont représentées ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat, ni au gouvernement. Si vous êtes à nouveau Président de la République, êtes vous prêt à nommer un(e) Français(e) de cultures musulmanes, intègre et représentatif (ve), à un poste important de votre prochain gouvernement ?

La société française a toujours été ouverte à tous les citoyens quelles que soient leurs origines. Parmi les responsables politiques d'aujourd’hui, ne sont pas rares ceux dont les ancêtres viennent au-delà de nos frontières et certains, bien entendu, plus précisément d'Afrique du Nord.

Rappelons par exemple que la première - et la seule - femme d'origine algérienne à avoir participé à un gouvernement français, fut Naffisa Sid Cara dans le gouvernement de Michel Debré, au début de la cinquième République. Plus près de nous, en 1995, la délégation interministérielle et à l'intégration a été confiée à Hamlaoui Mekachera. Si on remonte un peu plus loin dans le temps, les Français musulmans ont donné à notre pays des administrateurs de grande valeur, des artistes, des écrivains, des médecins, des sportifs, bref une élite de Français qui ont grandement contribué à son renom dans le monde. Sans même évoquer le nom de Senghor on pourrait également multiplier les exemples, s’agissant de personnalités marquantes originaires d’Afrique noire.

Il y a une aspiration de plus en plus forte à la représentation : nous devons faire en sorte que " la France d’en haut " soit le plus possible à l'image de la communauté des citoyens dans toutes ses composantes. On peut se féliciter que, aussi bien en 1995 qu'en 2001, dans des municipalités conservées ou conquises par des partis de l'opposition nationale, des enfants d'anciens harkis ou issus de l'immigration aient été élus dans de très grandes villes comme Marseille, Strasbourg ou le Havre. Ils prennent la suite des générations d'élus dont les parents ou grands-parents avaient émigré, qui d'Italie, qui de Pologne, qui d'Espagne ou du Portugal. L'accès à des fonctions électives nationales se fera progressivement car une carrière politique s'inscrit dans la durée, fondée sur une implantation durable. Pour ma part, je souhaite que les formations politiques qui me soutiennent tiennent compte de cette aspiration légitime lors des investitures pour les prochaines élections législatives.

b[Dans cette Europe politique qui se construit peu à peu, la France va-t-elle peser de tout son poids pour que, au nom du principe universel des droits de l'homme, des pays comme la Palestine, la Tchétchénie ou le Kurdistan puissent recouvrer leur souveraineté politique entière et indivisible?]

La France ne cesse d'affirmer, à travers son action diplomatique, la nécessité de garantir efficacement les droits de l'homme et les libertés fondamentales dans le monde. Elle entend tenir son rôle et faire partager par ses partenaires son expérience dans le cadre de la politique étrangère et de la politique de la sécurité européenne. Il va sans dire que la recherche de l'apaisement dans les zones de crise ou d'instabilité constitue une priorité dans le contexte international particulièrement sensible qui est le nôtre actuellement.